De l'individu au malfrat



« Il y a eu un vol. 11h23 - On appréhende un individu. » Pour l'instant, il n'a encore rien fait, mais il est déjà un individu. On peut tout supposer. Un individu, ça ne peut être que louche.

« 13h14 - L'homme arrêté ce matin a été mise hors de cause. » De ce fait, il devient plus humain.

« 17h25 – La police est à la recherche d'une personne qui pourrait avoir été une autre victime du voleur. » Si on a été volé, on n'est plus un homme, mais une personne. La police est censée protéger les biens et les personnes. Mais elle n'y arrive pas toujours, ou elle n'y arrive toujours pas.

« 19h22 – Nous avons désormais le portrait-robot du suspect. » Le suspect, c'est encore une autre catégorie. Lui, il va falloir qu'il s'explique sérieusement. L'individu, on l'interroge un peu pour dire de parler, mais le suspect, faut pas qu'il nous raconte des histoires. Surtout s'il a un casier. Et s'il n'est pas le coup d'aujourd'hui, faudra lui rappeler qu'en 2007, il a été interpellé en état d'ivresse sur la voie publique et qu'il doit faire profil bas. Oui parfois, le portrait-robot fait profil bas. Pas toujours.

« 20h35- En plein cambriolage, il oublie son portefeuille .» Si est question de « il », c'est souvent qu'on peut rire du malfrat. Malfrat, c'est un voleur un peu bête. Il fait le métier sans conviction. Il devrait se reconvertir : toiletteurs pour caniches ou animateur d'un club de rumba. Les journaux raffolent de ce genre de nouvelles :

« Il laisse son portable dans le coffre-fort de la banque. » « Il perd sa montre en or dans le sac à main de la dame qu'il avait entrepris de voler. » « Voulant faire un braquage, il oublie son revolver dans le taxi. » D'une part, c'est la grosse rigolade et d'autre part on se sent moins en insécurité avec des malfrats si peu doués. Notons aussi l'emploie du présent de l'indicatif, pour donner plus de vie à la tentative de mauvaise action.

Résumons : il a volé du matériel informatique, mais il a laissé son portefeuille. On connaît maintenant son identité. « L'arrestation de Roger J***, natif de Cergy, n'est plus qu'une question d'heures » Bon, le gars n'est pas d'ici, ce qui est déjà rassurant, il n'y a pas de voleur chez nous. Il est de Cergy, on aurait dû s'en douter tout de même. La presse ne donne pas son nom, mais elle montre qu'elle sait bien comme il s'appelle, mais que par élégance, on le désignera par Roger J***.

Le lendemain, 8h27 – communiqué triomphal de la police : « Nous venons d'arrêter Roger Jaziri, alors qu'il sortait de chez lui. Il n'a pas opposé de résistance. Il sera déferré au parquet dans la matinée. Nous avons récupéré le matériel volé et nous cherchons d'éventuels complices ou receleurs. » Il a fallu attendre le lendemain matin pour connaître le nom du voleur. Enfin en voilà un hors d'état de nuire, mais faut trouver encore les complices et les receleurs évidemment, on n'en finit jamais. C'est toute une bande qu'il faut démanteler. Mais le commissaire et ses hommes sont à pied d’œuvre.

Trois semaines plus tard. Roger Jaziri est libre ! Tu parles d'un scandale. On parle même d'emballement de la police dans cette affaire. En fait, Roger (maintenant nous pouvons l'appeler Roger ; on le connaît bien désormais) était venu prendre l'ordinateur de son copain Anton Sliter et il lui laissait ses papiers pour qu'il fasse des photocopies. Ils devaient partir en voyage ensemble en Russie et ils avaient besoin de visas. Anton devait s'en occuper. C'est sa copine qui n'était pas au courant et qui a prévenu la police de la disparition de l'ordinateur. Bon voyage les copains ! Mais on ne va pas faire un communiqué pour si peu.

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