Ironie uchronique
Les Amérindiens sont
arrivés en 1491, alors qu'un certain Christophe Colomb projetait un
voyage dans l'autre sens pour l'année suivante. Pas de chance. Ils
débarquèrent d'abord en Angleterre et la cour avec ses courtisans
habillés de chaudes laines les amusèrent beaucoup. Comme ils
étaient arrivés de nuit, personne ne les avait repérés. Un
ancêtre de nos policeman voulut bien les contrôler, mais comme il
n'y avait rien d'agressif dans leur comportement, il les laissa
passer.
Dans ce premier temps,
que nous qualifierons d'observation, les Européens qui se faisaient
beaucoup la guerre confraternellement, n'avaient pas d'intentions
belliqueuses face à cette vingtaine d'individus dont on ne
comprenait ni la langue, ni les mœurs, ni les visées. Visiblement,
ils n'étaient pas dangereux, et cela distrayait la population. Il
fallut pourtant les nourrir et les vêtir, car l'hiver britannique
est rigoureux, mais cela ne grevait pas le budget de la couronne. On
leur donna un fief, pas trop exigu dans les Cornouailles, tout autour
de Plymouth. Le dimanche, on allait en famille leur rendre visite et
leur apporter des théières. Rendez-vous compte : ils n'en
avaient pas. Cela dura quelques mois.
Mais un matin, Plymouth
fut le théâtre d'une arrivée massive de bateaux avec armes et
bagages. Des milliers et des milliers d'hommes tout équipés
débarquaient. Les habitants de la ville prirent peur et demandèrent
le secours de l'armée royale. Les soldats de sa Majesté s'y
rendirent comme à un pique-nique, mais ils déchantèrent
rapidement. Ils ne faisaient pas le poids devant l'adresse des
Amérindiens aux jeux guerriers. La Cornouailles furent rapidement
envahie par une armée dont on ne comprenait pas le comportement,
dont on ne savait pas non plus les effectifs. Toujours est-il que la
progression de cette armée d'invasion fut spectaculaire. Ils
profitaient évidemment des divisions des nations européennes.
L'Anglais était l'ennemie héréditaire en France. Les Allemands et
les Italiens étaient tellement divisés que c'était un jeu
d'enfants de s'engouffrer dans les failles des pays belligérants
tellement mal la situation.
Une fois la France
conquise, un chef s'imposa qui portait le doux nom de Géronimo
Premier, empereur des provinces européennes. Pour l'instant, ils
avaient conquis une bonne partie de l'Europe sans vraiment qu'il y
ait eu de massacres, car leur supériorité était évidente. Ils
connaissaient la poudre qui fait s'effondrer les murailles les plus
imperméables et surtout ils s'appuyaient sur un peuple contre un
autre. On entendait, par exemple en France : « Plutôt les
peaux-rouges que les rosbifs ! »
Mais tout allait se
gâter avec la religion. En effet, jusqu'ici les envahisseurs
hissaient des drapeaux et des draperies joliment décorés
d'ossements, mais laissaient plus ou moins le culte chrétien en
place. Géronimo, poussé par ses prêtres de plus en plus
fanatisés,voulut, un beau jour, qu'on lui livra le Pape. Aucun pays
catholique ne pouvait accepter, ou alors à Avignon. L'empereur des
provinces européennes refusa, car Avignon, c'était là que son
cousin Genvilar voulait organiser un festival de théâtre. On fit
une bataille qui dura trois jours et trois nuits, mais à la fin il
fallut se rendre à l'évidence et à Rome pour ficeler le Pape comme
un saucisson corse. Géronimo lui demanda d'abjurer la foi catholique
ou chrétienne comme il voudrait. Le Pape abjura les deux sans
problème, ce qui mit en colère l'Empereur qui aimait qu'on lui
résiste un peu. Il le jeta nu aux bêtes sauvages qu'il avait
emmenés avec lui, mais écœurés par l'odeur de l'encens dont ils
n'avaient pas la pratique, ces animaux ne l'approchèrent que pour
lui lécher les cheveux qu'il avait gras. On le laissa vivre encore
un peu et il adopta comme tout le monde le culte du Soleil et de la
Lune. Géronimo rentra alors chez lui en Amérique, parce qu'il
n'avait pas que ça à faire que de pacifier l'Europe. Il laissa
néanmoins sur place toute son admirable administration et notamment
son fils adoptif, Géronimo II.
Ce fut d'ailleurs lui
qui régla le problème linguistique : il décréta l'interdiction de
toutes les langues en dehors de la langue nahuatl,
dont le nom dérive probablement du mot « nāhuatlahtōlli », et
qui est une macro-langue de la famille uto-aztèque. On détruisit
les bibliothèques et les musées pour construire des pyramides à
étages avec restaurants panoramiques pour les touristes. Les
sacrifices humains qui étaient monnaie courante en Europe sous
prétexte de peine de mort furent abolis. Ce fut une période
prospère et les Européens découvrirent les pommes de terre, les
tomates et le mezcal, sans oublier la laine de lama qui ne gratte
pas.
Pendant
plusieurs siècles, le continent européen fut ainsi soumis aux bons
plaisirs des Géronimos qui entreprirent cependant de grands travaux
pour compenser leur redoutable domination. Mais aujourd'hui, des voix
s'élèvent en France, en Italie, en Allemagne, et partout ailleurs,
pour dire : « Reprenons notre histoire et notre passé.
N'ayons pas peur de parler la langue de nos ancêtres. Et si on
réessayez Jésus ? » Un indigénisme qui est regardé
avec un sourire indulgent par Géronimo XXXVII.
Geronimo et Genvilar demandant la livraison expresse du Pape
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