Le bel Antonio
Bien sûr, dès que l'on parle du
« Bel Antonio », on pense immédiatement au film de Mauro
Bolognini (avec Pasolini comme scénariste) et réalisé en 1960 avec
Marcello Mastroianni, Claudia Cardinale, Pierre Brasseur. C'est vrai
que le film est remarquable. Mais il faudrait aussi et surtout relire
le roman de Vitaliano Brancati, écrit en 1949.
L'action se déroule à Catane durant
toute la période qui couvre l'arrivée de Mussolini au pouvoir
jusqu'à sa fin lamentable. Et l'auteur multiplie les interrogations
politiques sur le socialisme, le communisme, et évidemment le
fascisme. Un jeune homme, beau comme un dieu, fait s'évanouir toutes
les jeunes filles autour de lui.
Quand je
prêche, dit le prêtre, et que votre fils est assis au fond de
l'église, les femmes se démanchent le cou pour le regarder, lui...
C'est un scandale.
Mais savez-vous
que sur vingt jeunes filles de bonne famille qui se confessent à
moi, dix... oui, dix, ont offensé Dieu parce qu'elles ont pensé à
votre fils trop souvent ou d'une façon qui n'est pas très conforme
à leur éducation ?
Le
jeune Don Juan finit tout de même par se marier avec la belle et
riche Barbara Puglisi. C'est alors que le drame commence. Au bout de
trois années de mariage, Barbara est toujours vierge. Personne n'en
parle ouvertement. Le père d'Antonio ne peut croire ces racontars.
Mais l'étau se resserre autour du couple. Les mauvaises langues se
délient et, dans cette Italie du Sud où la puissance virile est
tenue pour la vertu suprême, la disgrâce d'Antonio est vécue comme
un grand déshonneur. On apprend lors de pénibles confessions qu'en
fait il n'a jamais réellement fait l'amour, mais l'a toujours laissé
croire...
Oubliées, les
longues attentes à Naples, au son des mandolines qui me perçaient
la chair, les mensonges d'alors aussi, les adieux, les fuites... Il
restait la saveur de vin fort qu'avait le monde, en ce temps-là, le
monde que je buvais par tous les sens, et souvenir du moment céleste,
d'autant plus céleste à mesure que passaient les années où il
m'était refusé, ce moment de feu, de miel, de paradis...
La
famille Puglisi s'arrange avec les institutions, l'Eglise et le Pape
pour faire annuler ce mariage, parce qu'elle a en vue une union avec
un riche marquis ventripotent. Et nous avons là toutes les lâchetés,
les magouilles, les manœuvres les plus cyniques qui poussent le père
d'Antonio à hurler à sa fenêtre ses imprécations lors du
cortège :
Voleurs de
notre sang, voleurs de grand chemin, brigands non baptisés, vous
vous êtes acheté la justice et la religion avec vos méchants sous
qui puent le fromage, parce que vous avez trouvé ces autres voleurs
vos égaux, ces affameurs avec l'aigle sur la tête, qui dévoreront
jusqu'au dernier caillou de cette malheureuse terre, si Dieu
n'intervient pas à temps et ne les brûle comme des rats ! Vous
vous êtes tous mis d'accord et avez préparé le poison à votre
gré, canailles sans cœur, vases de nuit! Mais la femme du voleur ne
rit pas toujours. Qu'elle revienne, sacrebleu, la liberté qui nous
permettra de nouveau de vous cracher au visage ! Qu'il revienne
le jour des gens d'honneur. En attendant, je vous dis ceci : à
bas le roi, à bas le... !
A ce moment,
une main saisit Monsieur Alfio par les joues et l'empêcha de parler.
Et Antonio traînera sa peine dans les rues de Catane en recevant
tous les jours des lettres d'amour de toute nature, longues ou
brèves, explicites ou romantiques, mais le plus souvent
désintéressées.
Il y a dans ce roman une série de portraits captivants, des
dialogues étonnants et un humour toujours présent malgré le drame
qui se noue. Vitaliano Brancati est mort assez jeune et il n'a pas
laissé une bibliographie considérable, mais « Le bel
Antonio » reste un chef d’œuvre par la vivacité de
l'écriture, par la subtilité de la psychologie, par l'intelligence
avec laquelle un thème aussi délicat est abordé.
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