Pas de nouvelles, mauvaises nouvelles



Chaque fois qu'il partait pour s'installer dans un coin tranquille pour écrire, ses proches lui disaient toujours : « Donne-nous de tes nouvelles ». Et lui, il écrivait une nouvelle, inspiré qu'il était par le cadre rupestre ou agraire qui l'environnait. Souvent cela avait la forme d'un conte philosophique et poétique à la fois. Il se mettait au travail dès l'aube et son imagination faisait le reste. Il était question d'un hibou métaphorique qui entrait en transes et nous faisait assister à un sabbat dans la plus grande tradition occulte. Ou alors, il se mettait lui-même en scène dans une jolie histoire de pasteur d'ours attaqués par une bande d'agnelles affamées. Oui, il y avait toujours ce brin de folie qui faisait qu'on ne devait logiquement quitter la lecture sans en connaître le dénouement. Mais il était si perfectionniste qu'il lui fallait une semaine de travail pour une nouvelle de quelques pages.

Quand il rentrait chez lui, on lui faisait toujours le même reproche : « Tu ne nous as pas donné de nouvelles ! » Alors il se délestait de sa sacoche en cuir qu'il confiait avec un sourire malicieux à celui qui l'avait ainsi accueilli. L'autre prenait la sacoche et demandait à la bonne de faire briller le cuir avec un produit adéquat, une huile spéciale pour selle d'équitation, très chère, alors que l'huile de ricin produit le même effet.

A plusieurs reprises, la même scène se reproduisit. Et puis, un soir, le pater familias avait sa tête des mauvais jours. Et avant qu'on ne put avaler un morceau de jambon, il prit la parole.

  • J'accepte que tu t'en ailles de temps à autre pour vaquer à tes occupations. Tu n'es pas prisonnier ici. Mais au moins, la moindre des choses, ce serait de donner des nouvelles.
  • Mais enfin, c'est ce que je fais ; je ne fais même que cela.
  • Pas du tout. Et nous, on s'inquiète. Forcément. Surtout qu'on ne sait jamais pour combien de temps tu pars.
  • Je ne reviens jamais sans avoir écrit une nouvelle.
  • A qui ?
  • Comment ça, à qui ? Mais à tout le monde.
  • Personne n'a rien reçu.
  • Personne n'a lu mes nouvelles ? Elles sont dans ma sacoche.
  • Mais enfin, on ne donne pas de nouvelles quand on est revenu. Ca n'a pas d'intérêt, puisque tu es là. Franchement, ça te coûterait quoi d'écrire un mot ?!
  • Un mot ? Mais j'en écrit des milliers, et vous n'ouvrez pas ma sacoche pour les lire.
  • Ecoute-moi bien. On ne va pas lire les nouvelles de quelqu'un qui ne nous donne pas de nouvelles.
  • Pas de nouvelles, bonnes nouvelles !
  • C'est un proverbe historiquement faux. Quand Napoléon n'a plus eu de nouvelles de Grouchy, c'est que Blûcher l'attaquait sur son flanc droit. Quand Eric Tabarly n'a plus donné de nouvelles, c'est qu'il était mort !
  • Mais vous voulez que je vous écrive quoi ?
  • Je ne sais pas moi... J'ai bien dormi, le paysage est charmant, le repas était un peu gras... Des nouvelles quoi !
  • Ca vous intéresse de savoir que mon repas était un peu gras ?
  • Oui ! Voilà, ça m'intéresse, si tu veux savoir !

Dans la lumière ambrée de la salle à manger, tous opinaient du chef de famille.

Il quitta la table, accablé. Avant de monter dans sa chambre, il voulut joindre sa fiancée au téléphone. Elle était aussi de méchante humeur et ne lui laissa pas placer un mot.

  • J'en ai assez ! Monsieur écrit, écrit, écrit, mais pas à moi. A ses maîtresses peut-être, mais pas à moi. Jamais à moi ! Je me morfonds, mais t'inquiète pas, je ne vais plus me morfondre longtemps. Le premier qui passe fera l'affaire. J'ai vingt-trois ans, bordel de merde !

Alors, il monta dans sa chambre en se disant qu'une confusion sur le mot nouvelle pourrait faire l'objet d'une nouvelle. Il l'écrivit d'un trait et se suicida d'un coup, d'un seul coup de revolver.

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