La tête ou le sexe

On sait désormais qui est la femme peinte par Courbet dans son célèbre « L'Origine du monde ». Il s'agit de Constance Quéniaux. Il a fallu 152 ans pour qu'on apprenne le nom du modèle, et tout bêtement par une lettre d'Alexandre Dumas fils à George Sand, où il parle de « l'intérieur de Mademoiselle Quéniaux » (et non de « l'interview » comme on l'a cru jusqu'ici). L'écriture de Dumas n'est pas toujours très lisible. Ah, ces bons écrivains qui écrivent mal ! Toujours est-il que, comme l'a dit Frédéric Pommier sur France Inter, « L'Origine du Monde », c'est le bas-ventre d'une prostituée bisexuelle qui n'a jamais eu d'enfant.

Mais le problème n'est pas tant que l'on sache désormais qui est cette femme, mais pourquoi Courbet lui avait-il caché la tête. Il semble bien que la bienséance exige cette dichotomie, pour ne pas dire cette schizophrénie. En effet, on peut montrer sa tête tant qu'on ne montre pas son sexe, et on peut montrer son sexe tant qu'on ne montre pas sa tête (puisqu'on ne sait pas à qui il appartient). Il est d'ailleurs une anecdote, racontée dans l'ouvrage « Le Nu au théâtre » (1909), qui en fait foi. Une jeune actrice se retrouva un soir nue devant le public après que le rideau de scène en se levant eût retroussé tout ce qu'elle portait sur elle. Au directeur qui lui demanda pourquoi elle ne portait pas de dessous, elle répliqua : « De toute façon, ce n'est pas grave, ils n'ont pas vu ma tête ». Déjà, dans certains mystères du Moyen-Age, les personnages qui portaient des masques de diables ou de sorcières faisaient parfois des apparitions dénudées.

Et que dit Mistinguett, dans sa chanson « Il m'a vu nue » en 1924 ?

Il m'a vue nue,
Toute nue,
Sans cache-truc ni soutien-machins,
J'en ai rougi jusqu'aux vaccins.
Il m'a vue nue,
Toute nue,
Je me suis, par respect humain,
Voilé la face de mes deux mains.
Mais je crois bien
Que par ce geste irréfléchi
J'ai négligé d'voiler quelques petits chichis.
Il m'a vue nue,
Toute nue,
Plus que nue.

 
 
Elle pense d'abord à se voiler la face... Nous avons aussi de cette époque beaucoup de photos de nus anonymes. On posait, mais anonymement...

Aujourd'hui encore, on peut voir certains films érotiques amateurs où l'on voit distinctement les sexes en action, mais les visages sont « floutés ». Ainsi on perpétue cette façon de découper notre anatomie. On l'entend aussi dans certaines locutions populaires du genre « parle à mon cul, ma tête est malade ».

Du reste la perception de la nudité est assez différente suivant les coutumes et traditions. Je m'en suis aperçu en Roumanie. Un jour, j'ai assisté à cette scène dans la rue. Une Tzigane traversait en dehors du passage pour piétons et un automobiliste pour lui apprendre certainement le code de la route l'a frôlée au passage de sa Dacia. Alors la Tzigane a relevé ses jupes et lui a montré qu'elle ne portait pas de culotte. Et là est la grande différence culturelle : la honte pour un Roumain c'est de montrer son sexe, la honte pour une Tzigane c'est de voir le sexe de l'autre.
 
Comme on le voit sur cette statue du Louvre, les sculpteurs grecs pratiquaient déjà la technique de ne pas montrer la tête des modèles.

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