Rien ne va plus entre le
chasseur et sa sœur.
La brebis avait été horriblement
mutilée et il n'en restait qu'une carcasse qui n'inspirait même
plus les corbeaux. Il y avait plusieurs « coupables
potentiels » d'après les conclusions du Tribunal de Grande
Instance : le loup, l'ours, le chasseur, le braconnier. Ils
furent tous les quatre convoqués et interrogés. Le loup louvoyait,
l'ours ourdissait un complot, le chasseur dénonçait sa sœur et le
braconnier niait. Le Président menait les débats.
- J'appelle à la barre le loup. Allons, qu'on se dépêche ! (le loup était arrivé mais le Président ne l'avait pas entendu, car il était venu à pas de loup) Nom, prénom, profession.
- Loup, Loup, loup.
- Greffier, notez bien qu'il n'y a pas de majuscule au troisième loup. Bien. Que faisiez-vous le soir du vendredi soir dans la soirée ?
- Si je me souviens bien, j'avais un faim de loup.
- Donc vous avouez !
- Non, si j'avais une faim de loup, ça veut dire que je n'ai rien mangé. Enfin si, je me suis contenté d'une souris pour estomper les gargouillis de mon estomac.
- Et vous n'avez rien entendu ? Tout de même une brebis qui bêle à la mort, ça s'entend à distance.
- Non, vous savez, quand vous avez faim, vous verrez si ça vous arrive un jour, le mieux c'est de dormir.
- Je veux bien croire que vous ne l'ayez pas tuée, mais que vous n'ayez pas participé au festin, cela m'étonne tout de même un peu.
- Moi, je ne touche jamais à un met après qu'un plantigrade soit passé avant moi.
- Pourquoi donc ?
- Je ne tiens pas à attraper le tic de l'ours. Non, je plaisante, mais vous savez, nous n'avons pas les mêmes microbes et cela peut générer des parasites dont il est difficile de se défaire.
- Bien, je vous remercie. Je vous demanderai de rester à la disposition du Tribunal. J'appelle à la barre l'ours.
- Alors, ça va encore être de ma faute ?! C'est un complot. Ecoutez, on est trois ours en tout et pour tout dans ce coin paumé ; on a des colliers émetteurs et les types qui nous suivent sur leurs écrans, ils savent même à quelle heure on va pisser. Alors, pour le coup de l'agneau, vous repasserez.
- D'abord ce n'est pas un agneau, mais une brebis.
- Ben voyez, je ne suis même pas au courant, alors... Un complot, je vous dis.
- Ensuite veuillez décliner nom, prénom, profession.
- Nom : Caramel. Oui, il n'y a pas de quoi rire, j'y suis pour rien, j'avais un nom slovène très joli, et on me l'a changé pour Caramel. Prénom : Isil, ouais c'est Slovène et c'est poétique. Là-bas, ils sont plus habitués à baptiser des ours. Profession : repeupleur.
- Pardon ?
- Ah ça, vous pouvez me demander pardon. Arracher un ours à un territoire qu'il a depuis des siècles pour le transplanter dans un bled où il n'a pas le droit de manger son plat préféré.
- Non mais « repeupleur », c'est quoi ça comme métier ?
- Je repeuple les Pyrénées en ours et c'est du boulot.
- Où étiez-vous le soir du crime ?
- J'étais justement en train de repeupler.
- Vous avez un témoin ?
- Oui, mais vous savez, la femelle en question est un peu sauvage, trop timide pour venir témoigner. En plus, c'est un peu délicat, non ? Vous vous voyez lui demander si elle s'est bien envoyée en l'air avec moi le soir du crime ?
- Bien, merci. J'appelle à la barre le chasseur. Nom, prénom, profession.
- D'abord je proteste. Comment que ça se fait qu'on passe après les bêtes ?
- Nom, prénom, profession.
- Ouais d'accord Buzin, Roger, charcutier, mais comment ça se fait ?
- Où étiez-vous le soir où le pauvre animal a été déchiqueté ?
- Je faisais un loto chez la mère Radicelle. Et puis d'abord, vous avez vu l'état du bétail ? Moi, quand je tue ketchose, je le laisse pas dans un état pareil.
- Et vous avez gagné au loto ?
- Ouais, un saucisson. Mais comment ça se fait que je vous demande pourquoi on passe après ?
- L'hypothèse que retient le Tribunal, c'est que vous auriez tiré un lapin, mais il a bougé et la balle a malencontreusement heurté la tempe de la brebis. Ensuite évidemment la bête a été dépecée et réduite en charpie par d'autres que vous. Mais vous auriez causé sa mort.
- Ouais, je préfère rien dire, sinon je vais rigoler.
- Très bien. Personne suivante. Nom, prénom, profession.
- Darme, Jean, profession... euh, comment dire... Disons profession libérale.
- Vous vous appelez Jean Darme et vous êtes braconnier !!
- Il n'y a que les montagnes qui ne se rencontrent pas, qu'on dit.
- Je ne vois pas le rapport. Bon, vous êtes suspect, de part votre activité délictueuse, vous comprenez bien. Alors, tachez d'avoir de bons arguments.
- Mais moi, qu'est-ce que vous voulez que je fasse d'un mouton ? Un sanglier, un chevreuil, je peux les fourguer, mais un mouton ? En plus, pour ne rien vous cacher, je suis allergique à la laine, depuis tout petit.
- Alors cela reste un mystère. Le vétérinaire m'a confirmé que la brebis était stable psychologiquement et qu'il ne peut s'agir d'un suicide. Mais monsieur le chasseur, pourquoi dénoncer votre sœur ?
- C'est elle la propriétaire du troupeau. Elle a certainement voulu toucher l'assurance sur une bête malade qui allait crever en mettant ça sur le dos du loup ou de l'ours.
- Mais je vous repose la question : pourquoi dénoncer votre sœur ?
- C'est vrai ça. C'est ma sœur après tout.
Commentaires
Enregistrer un commentaire