Voyage à Tombouctou de René Caillié

Au début du XIXème siècle, il est une cité « interdite », Tombouctou. Elle résonne dans la tête des Européens comme un défi. On promet de grosses sommes d'argent au premier « blanc » qui y pénétrera. Un Anglais se jette dans l'aventure. Il est tué. Un Allemand subira le même sort. Mais voici qu'en 1828 un Français, René Caillié, va réussir. Il se déguisera en musulman, apprenant par cœur des versets du Coran, observant rigoureusement tous les rites, se cachant pour écrire le journal de son voyage. Il sera volé, dépouillé, réduit quasiment à l'esclavage dans certaines contrées, mendiant affamé dans d'autres ; il tombera gravement malade, il perdra ses dents. Mais il atteindra son but. Les épreuves subies lors de son périple vont beaucoup l'affaiblir et il mourra dix ans plus tard.

Ce qui est intéressant dans ce récit, ce sont évidemment les descriptions qu'il fait des différentes tribus qui l'accueillent ou le rejettent. Mais aussi on est subjugué par cette ardente volonté qui le fait passer au-dessus de tous les obstacles.

Je fus aussitôt entouré ; les marabouts m'obligèrent à répéter la formule ordinaire des prières du musulman : « Il n'y a qu'un seul Dieu, Mahomet est son prophète ». Je fus obsédé, et toute la soirée je ne pus obtenir un moment de repos. Averti par mes conducteurs de ne point quitter le milieu du camp pour éviter d'être volé, je me couchai par terre et me couvris d'un pagne espérant que les Maures se retireraient. Mais cette précaution ne me servit à rien, on continua à me tourmenter : les femmes, enhardies, me découvraient, les enfants, à leur exemple, me tiraient l'un par un pied, l'autre par un bras, d'autres me frappaient du pied ou me piquaient avec des épines. N'y pouvant plus tenir, je me levai en colère ; alors mes persécuteurs prirent la fuite.

Un peu plus tard, il manque d'être découvert :

D'abord les Mandingues ne parurent pas ajouter foi à mon histoire, et surtout à mon zèle religieux. Mais ils n'en doutèrent plus en entendant leur réciter par cœur plusieurs passages du Coran, et me voyant le soir me joindre à eux pour faire le salam ; ils finirent par se dire l'un à l'autre que j'étais un bon musulman. Ai-je besoin de prévenir qu'en secret j'adressais les plus ferventes prières au dieu des chrétiens, pour qu'il bénit mon voyage ?

Mais Tombouctou est pour lui un rêve. Alors, quand il entre enfin dans la ville, il est pris d'une jubilation qu'il doit cacher pour ne pas être découvert comme un chrétien déguisé. Mais dès le lendemain, la cité mystérieuse a déjà perdu tous ses attraits :

Revenu de mon enthousiasme, je trouvai que le spectacle que j'avais sous les yeux ne répondait pas à mon attente. Tout respirait la plus grande tristesse. Le ciel, à l'horizon, est d'un rouge pâle ; tout est triste dans la nature ; le plus grand silence y règne ; on n'entend pas le chant d'un seul oiseau.

La cité interdite rêvée n'est pas celle où il entre. René Caillié a fait une quête traversant à la fois des contrées inaccessibles et une religion impossible pour lui qu'il adoptera pourtant par feinte. Une fois à Tombouctou il faut continuer le voyage et son état va empirer, peut-être aussi parce qu'il ne supporte plus de se travestir ainsi et en quelque sorte de tricher avec chaque interlocuteur. Son rôle d'imposteur lui pèse.

Qu'on s'imagine ma situation ! Seul à l'intérieur d'un paysage sauvage, couché sur la terre humide, je devins bientôt un véritable squelette : enfin j'étais dans un état si cruel que je finis par inspirer de la pitié à ceux qui étaient le moins disposés à me plaindre.

Enfin il arrivera tout de même à Tanger, où il sera pris en charge par le Consul de France. Il lui restera à écrire son journal de voyage, ce qui lui prendra quelque temps, puisqu'il n'a pu que transcrire épisodiquement des notes sur des bouts épars de papier qu'il dissimulait comme il pouvait.




Note : Tombouctou est aujourd'hui une ville du Mali, et on peut y visiter la maison de René Caillié.

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