Le temps de la
contemplation
Moi, j'aurais bien un chien, mais
franchement je n'ai pas le temps de m'en occuper. Moi, un chat, bon,
s'il est assez indépendant pour se débrouiller tout seul. Mais
alors s'il faut en plus le vacciner et tout le tralala, non merci.
Moi, quand j'étais enfant, j'avais un poisson rouge. Je devais
changer l'eau une fois par semaine. Voilà qu'une fois j'ai oublié
parce que j'avais du travail à l'école, et il est mort. C'est trop
triste, alors maintenant, c'est fini avec les bestioles. Moi, j'avais
une perruche, je la sortais de sa cage pour la mettre sur mon épaule.
Et puis un jour, elle m'a bousillé un pull tout neuf, alors là,
j'étais mauvais, je l'ai reclaquée dans sa cage. Non mais, tout de
même, un pull tout neuf ! Moi, j'étais à la campagne. A côté,
il y avait une ferme, ben, c'est pas pour dire, mais ça pue une
ferme. Moi, je ne supporte plus. Le voisin, il a un coq qui chante,
bon, mais qui chante plusieurs fois. Ca, je ne comprends pas, qu'il
chante une fois, admettons, c'est un coq, mais une fois, on a
compris. Alors pourquoi qu'il chante plusieurs fois et même le
dimanche matin ? Ils nous cassent les oreilles avec les animaux
en voie de disparition. Non mais, dites donc, si les dinosaures
n'avaient pas disparu, est-ce qu'il y aurait encore des humains ?
Maintenant, ils veulent supprimer les animaux dans les cirques, moi,
il n'y a que là que j'aimais bien les voir. Parce que sinon, je n'ai
pas le temps. Et puis, au zoo, c'est pas pareil. Vous payez
vingt-cinq euros pour voir des animaux qui dorment en général. Et
on n'a même pas le droit de secouer un peu la cage pour les
réveiller. Vingt-cinq euros tout de même. Les crocodiles par
exemple, ils sont là et ils ne bougent pas d'une oreille. Ils
seraient empaillés que ça serait pareil.
- Et vous, vous avez des bêtes ?
- Oui, chèvres, moutons, cochons, volaille...
- Eh bien, dites donc, ça doit vous faire du travail !
- Oui, mais est-ce vraiment du travail ?
- Enfin, je veux dire, ça doit prendre du temps tout ce... Un vrai arche de Noé.
- Du temps certainement.
- Donc, c'est bien ce que je disais, c'est du boulot, un tel cheptel.
- Bien sûr, il est nécessaire de suivre les animaux, de les accompagner, de les nourrir, parfois de les nettoyer ou de les soigner. Mais ce n'est pas ça qui prend le plus de temps.
- C'est quoi alors ?
- C'est le temps de la contemplation.
- Le temps de la... Quoi ?
- De la contemplation. On passe dix minutes à s'en occuper, mais ensuite on reste une heure à les regarder, juste les regarder. Et à regarder aussi comment ils vous regardent.
- Mais faut vraiment n'avoir rien à foutre ! Passer son temps à contempler des bêtes... Moi, je ne pourrais pas. Déjà quand il y a des émissions sur les animaux à la télé, je ne regarde pas jusqu'au bout. Alors là contempler des cochons... Je me demande bien à quoi ça peut servir.
- A rien.
- Alors, pourquoi vous le faites ?
- Parce que c'est un être vivant, tout simplement. Et de tout être vivant, on peut apprendre quelque chose.
- Mais qu'est-ce que vous voulez apprendre en regardant un cochon ? Ce n'est pas comme ça que vous allez me dire le prix du kilo de jambon. Et puis ça, c'est pas vrai : de tout être vivant, on ne peut pas apprendre quelque chose. C'est pas vrai. Regardez mon voisin, il est vivant. Je n'ai jamais rien appris de lui. Il est bon à rien, de toute façon.
- J'ai l'impression d'être ce voisin. Je suis sûr que vous portez le même regard sur lui et sur moi.
- Ah, mais pas du tout. Je ne me permettrais pas vous dire que vous êtes un bon à rien.
- Mais à votre voisin non plus, vous ne vous permettez pas de le lui dire. Vous vous permettez juste de le penser. Alors je vous laisse à vos pensées. Laissez-moi à ma contemplation.
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