Non, une montre en or ne change pas la vie.


J'étais en pension, comme on disait à l'époque. Collège Haffreingue-Chanlaire à Boulogne-sur-Mer. Des curés à tous les étages pour tous les cours, sauf pour la gymnastique. Mes parents me déposaient le dimanche soir pour les Complies qui étaient un office de plus, le dernier de la semaine, mais qui pour nous empiétait déjà sur la semaine qui allait commencer. Il y avait encore une prière avant de se coucher, une prière qu'on expédiait dans un murmure général, mais il fallait la faire à genoux à côté du lit. Extinction des lumières. Rondes des abbés pour surveiller si les mains étaient bien au-dessus des couvertures.

Tous les jours de la semaine, il fallait encore remercier Dieu avant chaque repas que nous ne pouvions entamer qu'après que le Supérieur (on l'appelait le Supin) ait agité sa clochette. Le matin, nous avions étude avant de commencer les cours, mais parfois un claquement de doigts nous indiquait qu'il fallait laisser nos révisions et servir la messe du matin. Pour ce faire nous revêtions une aube à peine propre et nous faisions tinter une clochette si nous étions à droite de l'autel. Nous devions sonner à plusieurs reprises et notamment à l'élévation, un grand moment. Si on actionnait la sonnette un peu trop tard ou un peu trop tôt, nous étions réprimandés dans la sacristie.

Les cours étaient le plus souvent très ennuyeux, avec comme seule distraction la haine que se portaient les curés entre eux. Celui qui nous faisait histoire, particulièrement, ne supportait pas celui des sciences. Il faut dire que ce dernier laissait toujours une odeur persistante qui tenait autant à ses expériences chimiques qu'à la saleté de sa soutane.

Une fois par semaine, le Supin venait faire son sermon et nous bassinait avec le don de soi, la charité, et tout le bataclan, ce qui nous faisait bien rire quand on voyait la guerre que se livraient les religieux quotidiennement. La matière qu'on enseignait le mieux dans ce collège était l'hypocrisie.

Parfois aussi, alors que nous avions des devoirs à faire le soir à l'étude, un de ces curés décidait qu'il fallait que nous nous confessions. Alors on le suivait en espérant que ça ne dure pas trop longtemps. Il y en avait un qui n'était pas intéressé par nos mensonges, ni par nos gros mots, ni même par nos désobéissances, mais seulement par nos impuretés. Je reconnaissais que je ne me lavais pas toujours les mains avant le repas, mais lui voulait parler de pures impuretés, situées sous la ceinture. Je ne savais pas trop quoi lui dire pour lui faire plaisir, mais lui avait décidé de mélanger confession et anatomie. Il me palpait pour me montrer qu'il y a des endroits qui sont particulièrement sales et qu'heureusement il y a des confesseurs pour absoudre tout ce mal.

Avec moi, il n'est jamais allé plus loin, mais avec d'autres élèves il a poursuivi plus avant sa démonstration.

Un jour, un des abbés a été retrouvé mort, alors qu'il était encore jeune ; on ne sut jamais ce qui était arrivé, mais vu la haine qu'ils avaient les uns pour les autres, on peut tout imaginer...

Cinq ans dans un tel endroit donne la nausée bien des années après. Cinq ans de tartuferies, de mascarades dont le point culminant fut la Communion Solennelle, avec retraite, soumission, humiliation, pour recevoir je ne sais quel sacrement qui devait transformer ma vie puisque j'allais recevoir une montre en or (que je ne pourrai jamais mettre de peur que je la perde).

Non, ce qui a transformé ma vie, c'est que j'ai réussi à me faire exclure de ce paradis terrestre. J'ai gagné le lycée public et ce fut vraiment une délivrance. Au début, j'étais même surpris de constater que mes camarades me parlaient ouvertement, et surtout avec une sympathie dont je n'avais encore aucune idée. Les curés avaient tellement oeuvrés pour que les enfants soient à leur image que beaucoup avaient adopté le ton fuyant, les messes basses et la méchanceté comme véhicule quotidien.
 
 

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