José Revueltas
La première eut lieu le 12 mai 1950 au
Théâtre Arbeu à Mexico. L'accueil réservé à « La rue de
la Solitude » fut en général plutôt enthousiaste. Pour la
première fois, une pièce d'un auteur mexicain atteignait les cent
représentations. Mais les staliniens, très puissants à l'époque,
obligèrent José Revueltas (1914-1976) à suspendre la pièce (et à
retirer de la circulation son roman « Les jours terrestres »).
Il sera même jeté en prison où il restera deux ans et demi.
Toujours militant, José Revueltas n'en a pas pour autant accepté de
fermer les yeux sur les crimes staliniens et sur la déformation
monstrueuse du socialisme.
PIEDAD – C'était à la
correctionnelle... Une nuit, quand tout le monde dormait, j'ai
découvert deux filles dans les toilettes... Là-bas, ce genre de
chose encoure un châtiment sans pitié... Se voyant découvertes,
elles m'ont suppliée à genoux, les larmes aux yeux, de ne pas les
dénoncer.
PARCHES – Ce que tu n'as pas fait,
bien sûr...
PIEDAD – Non, je ne l'ai pas fait.
Après ça je les ai eues à mon service, comme deux esclaves
capables de tout. Elles me servaient pour les choses les plus
insignifiantes, comme faire mon lit, laver mon uniforme, constamment
rongées par la peur que je les dénonce à la direction...
PARCHES – On n'a pas toujours la
chance de tomber sur un cas comme ça... Avec un petit secret de ce
genre dans la manche, on aurait de quoi vivre tranquillement le
restant de ses jours. Bon ! Evidemment tout dépend de qui il
s'agit. Si c'est un pauvre diable, ça vaut pas le coup, même si tu
l'as vu coucher avec sa propre mère !
PIEDAD – Moi je ne me rendais pas
compte que les filles s'aimaient pour de vrai et que pour elles, la
peur d'une dénonciation était pire que la peur de la mort. L'une
d'elles, désespérée par mon attitude, a fini par se couper les
veines. C'est alors que je me suis rendue compte qu'il s'agissait
d'amour. La fille s'en est sortie et moi je me suis repentie, je leur
ai demandé pardon, en leur promettant que je ne les dénoncerais
jamais. Mais ça n'a servi à rien. Ces deux filles ne pouvaient plus
croire en la bonté de personne. Elles me furent plus soumises que
jamais, en proie à la pire servilité, à la peur la plus immonde,
jusqu'à m'en donner la nausée. Alors j'ai pris la seule voie
possible... Je... je leur ai démontré... tu comprends ? Je
leur ai démontré sans l'ombre d'un doute que moi aussi je pouvais
pratiquer cela... que j'étais
une des leurs...
PARCHES
– Pourquoi as-tu fait ça... ?
PIEDAD
– Je ne sais pas ! Peut-être parce que je m'appelle Piedad...
PARCHES
– Foutaises ! On dit aussi que c'est par pitié que Dieu s'est
fait homme... Et qu'est-ce qu'on gagne avec tout ça ? Dis-moi
un peu !
PIEDAD
– Après ça la paix et la tranquillité ont régné entre ces deux
filles et moi...
PARCHES
– N'empêche que c'est une belle histoire, bien qu'elle soit
vraie !
PIEDAD
– Aimez-vous les uns les autres...
PARCHES
– Qu'est-ce que tu dis ?
PIEDAD
– Craignez-vous les uns les autres. Ma mère a oublié de
m'enseigner ça quand j'étais petite...
Esquisse de Diego Rivera pour un décor de la pièce
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