Julio Ramon Ribeyro
Charognards sans plumes
On associe encore le Pérou avec de
fabuleuses richesses. Mais l'or n'est pas à portée de toutes les
mains et seuls ceux que Julio Ramon Ribeyro appelle les charognards
sans plumes se partagent les trésors de cet Eldorado. Gypaète,
condor ou urubu, le vautour n'admet que ses pairs aux agapes
charognardes, qu'elles aient pour théâtre le plateau désertique ou
le terrain vague d'une ville perdue : le petit rapace ne saurait
y être toléré. L'or s'est fait billet de banque ou valeur en
Bourse et le charognard de Ribeyro roule voiture, boit du whisky,
danse, joue au tennis et n'a plus besoin d'étrangler quelque
Atahualpa pour s'assurer la fortune et le pouvoir : une bonne
constitution et les forces de police garantissent la sécurité du
riche et la soumission du pauvre. Bien sûr, le riche est raciste et,
pour lui, « la peau d'un Indien ne vaut pas cher » ;
mais la ségrégation sociale n'est pas moins efficace que la
ségrégation raciale, aussi grand nombre de plébéiens de souche
espagnole partagent-ils le sort du Quichua, du métis, du mulâtre et
du noir.
Willy de Spens
Pour aller en ville, je passai par le
ravin de La Pampilla. J'y
rencontrais les pêcheurs et je leur disais :
- Ils sont en train de jeter les maisons du haut dans la mer.
Ils se contentaient
de répondre :
- C'est un abus.
Nous le savions,
bien sûr, mais que pouvions-nous y faire ? Nous étions
divisés, brouillés, nous n'avions pas de plan d'action, chacun
voulait en faire à sa guise. Les unes voulaient s'en aller, les
autres protester ; certains, les plus misérables, s'enrôlèrent
dans l'équipe et détruisirent leurs propres maisons.
Mais la plupart
d'entre eux descendirent par le ravin. Ils construisirent leur maison
à vingt mètres des tracteurs pour ramasser, le lendemain, ce qu'il
en restait et la reconstruire dix mètres plus loin. Aussi les
baraques venaient-elles sur moi ; tous les jours elles tombaient
un peu plus bas, de telle sorte qu'il me semblait que je devrais
bientôt les porter sur mes épaules. Quatre semaines après le début
des travaux, les baraques étaient à la porte de ma maison, en
ruine, en morceaux, remplies de femmes et d'hommes poussiéreux...
Charognards sans
plumes (1964)
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