Germán Gallo

Germán Gallo est né à Parque Patricios, Buenos Aires, Argentina en 1990. Il a terminé ses études de Théorie Littéraire à l'Université. Spécialiste de Borges et de Woody Allen, c'est un poète qui n'est jamais sûr de lui et qui avance masqué... 


9 octobre
Il y a un carrelage avec sept taches noires disposées en forme de cercle sur Corrientes y Callao,
il y a une librairie juste en face avec dis-sept livres d'auteurs qui commencent par la lettre C, précisément en ce moment,
il y a un type qui s'est fait tatouer la tête du Che sur l'épaule et le mot révolution écrit en attaché,
il y a un couple de fiancés en crise de jalousie qui discutent -lui dit : écoute, je m'en vais maintenant, je te laisse seule et tu vas mourir d'angoisse ; elle se tait et regarde le verre de limonade sur la table (ils sont assis dans un bar à côté de la librairie)-,
il y a une voiture verte avec la vitre baissée où s'appuie le bras d'un gros bonhomme au cigare noir,
il y a un endroit d'où nous parvient la musique : un CD de Lennon parce qu'il est né un 9 octobre et le temps se dilate pendant qu'on entend : So keep on playing those mind games together,
il y a une vieille qui marche lentement habillée de deux couleurs que tu aimes, un parapluie à la main pour le cas où,
il y a un ciel blanc et sombre et un moineau un peu perdu sur la branche d'un arbre,
il y a une superbe mer de béton et beaucoup de monde,
il y a un feux rouge qui vient à l'instant de passer au vert, un taxi qui freine brusquement, une employée de bureau attachant avec soin les cordons de son string tout en craignant que tombe sa jupe,
il y a un bébé sale qui rit avec sa sœur,
il y a des claquements de langue au passage de putes bon marché,
il y a quatre grands policiers marchant en rang et un cinquième plus petit qui a son béret à la main,
il y a à l'affiche du cinéma un cycle de films français,
il y a un qui jongle avec trois massues orange ; il porte un gros pantalon qui change de couleur suivant la lumière, voilà les massues en l'air et qu'il commence à pleuvoir,
il y a le jongleur qui sourit quand il reprend ses massues en main sans les faire tomber,
il y a la petite vieille qui ouvre son parapluie, et se disant : moi, j'avais bien raison de penser que ça allait tomber,
il y a maintenant une pluie qui va et vient comme les gens,
il y a une femme qui s'est mise à pleurer chez son psychanalyste -c'est ce qu'elle dit en criant dans son téléphone-,
il y a la peur de rater le bus et d'être trempé et d'arriver tard à la maison,
il y a un téléviseur de quarante pouces qui montre la même pluie sur un terrain de football,
il y a un chien noir qui se cache sous une tôle et se secoue comme il peut,
il y a en face à soixante-sept mètres et demi de béton la grande horloge qui marque cinq heures dix du soir ; on peut y lire un sonnet de Baldomero Fernández Moreno,
il y a les phares des voitures qui se reflètent sur l'asphalte,
il y a trois amis qui font la course jusqu'au coin de la rue,
il y a un festival tout en contradiction de miroirs et de singularité,
il y a une poubelle sur le bord de laquelle est collé l'emballage doré d'un chocolat
il y en a deux qui s'embrassent sous un réverbère,
il y en a quatre qui s'engouffrent dans la bouche du métro,
il y a trente-trois voitures qui passent,
deux bicyclettes,
quatre taches disposées en forme de losange sur le carrelage de Nueve de Julio et Saenz Peña et un chewing-gum à la mente collé au milieu,
Il y a un type qui pense que
sa solitude
agrandit les détails de la ville.

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