Julio Cortázar


Si nous continuons à employer le langage dans son registre courant, avec ses finalités courantes, nous mourrons sans avoir su le véritable nom du jour.
En son ambiguïté fondamentale, le très grand livre de Julio Cortazar nous montre qu'il est pour l'écrivain une autre attitude, celle d'un être sensible au monde et poreux à toutes les sollicitations extérieures sans que la méditation et le rêve cessent jamais d'enrichir et d'infléchir son aventure.Marelle est un de ces livres stratifiés dont presque chaque page propose plusieurs niveaux de lecture. Les deux traductrices, travaillant avec l'auteur dont la connaissance du français est à la fois sûre et subtile, ont restitué sans en rien gommer le mouvement et les nuances d'un ouvrage complexe. Dans les cases de cette marelle mouvante où le narrateur projette son expérience douloureuse, le lecteur découvrira, s'il est fidèle au rêve de l'auteur, mieux qu'un état de sa propre condition : une approche du macrocosme. Ce qu'était Moby Dick pour Melville : un livre « malin », Marelle doit l'être pour Julio Cortazar, œuvre exemplairement écrite et composée, roman qui croît de la tête aux racines, accomplissant simplement le dessein de Morelli, son héros :donner un texte qui n'asservisse pas le lecteur mais l'oblige à devenir complice en lui suggérant, sous la trame conventionnelle, des perspectives plus ésotériques.

Guy Rohou NRF mai 1967


"Tu me regardes, tu me regardes de tout près, tu me regardes de plus en plus près, nous jouons au cyclope, nos yeux grandissent, se rejoignent, se superposent, et les cyclopes se regardent, respirent confondus, les bouches se rencontrent, luttent tièdes avec leurs lèvres, appuyant à peine la langue sur les dents, jouant dans leur enceinte où va et vient un air pesant dans un silence et un parfum ancien. Alors mes mains s'enfoncent dans tes cheveux, caressent lentement la profondeur de tes cheveux, tandis que nous nous embrassons comme si nous avions la bouche pleine de fleurs ou de poissons, de mouvement vivants, de senteur profonde. Et si nous nous mordons, la douleur est douce et si nous sombrons dans nos haleines mêlées en une brève et terrible noyade, cette mort instantanée est belle. Et il y a une seule salive et une seule saveur de fruit mûr, et je te sens trembler contre moi comme une lune dans l'eau. "

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