Elvio Gandolfo
Elvio Gandolfo
est né dans la province de Mendoza en 1947, mais peu après sa
naissance ses parents déménagèrent à Rosario, qu'il considérera
toujours comme sa ville natale. Il dirigea avec son père la revue
« El Lagrimal trifurca ». En 1969, il arriva à
Montevideo où il se maria ; il y vécut deux ans. Il retourna
ensuite à Rosario, où naquit sa fille Laura et il y resta jusqu'en
1976. Il habita de nouveau en Uruguay à Piriapolis, pendant quatre
ans. Par la suite, il alterna ses résidences entre Buenos Aires et
Montevideo. Il fit des études secondaires et apprit l'anglais et le
français. Il publia des poésies, des nouvelles, des romans, des
chroniques et des essais (dont un sur Roberto Bolaño).
Vivre à la mine de sel (1990)Il était rare si ce n'est jamais vu que meure un contremaître. Ils étaient quatre et passaient leurs journées à hurler. Pourtant personne ne les détestait. Ils étaient si effrontés et imperturbables qu'on finissait par avoir de la peine pour eux. Chez tous les ouvriers, il y avait quelques possibilités, bien que souvent imaginaires, de partir un jour. On ne pouvait imaginer les contremaîtres hors de la mine de sel. Il n'y avait pas un autre endroit au monde où ils pouvaient promener leurs têtes carrées et leurs bouches qui ne savaient pas parler, mais seulement crier. Même quand ils se rendaient pour le repas à la cantine des contremaîtres, on les entendait hurler pour demander le sel ou l'huile, et quand ils allaient retrouver les trois femmes du villages qui donnaient du plaisir – ils avaient priorité ; on n'aurait jamais vu l'un d'eux faire la queue- on entendait les cris de plaisir ou de furie à deux lieues à la ronde. Raison pour laquelle il y avait une décision commune de garder nos contremaîtres, de les supporter jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'autre solution que de les tuer.Une de nos conversations préférées était d'imaginer qu'un jour il n'y aurait plus de sel. Nous y rêvions en coupant à la scie les gros blocs, en se disant qu'on reverrait alors la terre, les vers de terre, l'herbe. Mais les types les plus vieux, ceux qui avaient résisté à la mine depuis dix ou quinze ans, hochaient la tête en silence, puis ils nous disaient que pour voir un bout de terre il fallait partir d'ici, sauf à considérer comme de la terre la muraille bleue des falaises.
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