Juan Gelman
Nous n'avons pas su poser les bonnes
questions à temps, celles qui dénudent, qui déchirent, qui
arrachent de haut en bas les toiles d'araignée du conformisme et de
la bonne conscience. Nous n'avons pas su nous regarder dans le miroir
de notre véritable réalité argentine. Et si quelque chose nous
attire aujourd'hui dans les poèmes de Juan Gelman, c'est bien une
attitude, une manière de voir à la fois instinctive et réflective
de chercher ce qu'en réalité nous sommes sans les simplifications
parfois suicidaires qui nous ont entraînés si loin de nous-mêmes.
Julio Cortazar
Juan
Gelman "Poderes", dans le recueil "Relaciones",
de 1973.
Comme
une herbe comme un enfant comme un oiseau naît
la
poésie en ces temps au milieu
des
orgueilleux des tristes des repentis
elle
naît
Peut-elle
naître aux pieds des condamnés par le pouvoir
aux
pieds des torturés des fusillés d'ici et partout?
Et
aux pieds des trahisons des peurs de la pauvreté
peut-elle
naître?
Oui
elle peut naître aux pieds des condamnés par le pouvoir
aux
pieds des torturés des fusillés d'ici et partout.
Et
aux pieds des trahisons des peurs de la pauvreté
la
poésie naît
peut-être
qu'il n'y aura pas de pardon pour les orgueilleux pour les tristes
pour les repentis
peut-être
qu'il n'y aura pas de pardon pour les bouchers les cordonniers les
boulangers
peut-être
qu'il n'y aura de pardon pour personne
peut-être
qu'on est tous condamnés à vivre
Comme
une herbe, comme un enfant, comme un oiseau
naît
la poésie, ils la torturent et elle naît,
ils
la condamnent et elle naît, ils la fusillent
et
naît la chaleur, la chanteuse.
Ce poème fut repris par le chanteur Pedro Guerra :
Llega
del mundo,
de alguna nube,
sale a la calle,
llega del aire,
pinta en los muros
la voz del hambre.
La torturan y nace,
la sentencian y nace,
la fusilan y nace,
como un pajarito,
como una hierba,
como un niño nace.
Viene a la escuela,
juega en los niños,
de todas partes
trae de los árboles
hojas y frutas
esa incansable
¿de dónde viene?
¿dónde se esconde?
nadie lo sabe,
viene del día,
viene del sueño,
de todas partes.
de alguna nube,
sale a la calle,
llega del aire,
pinta en los muros
la voz del hambre.
La torturan y nace,
la sentencian y nace,
la fusilan y nace,
como un pajarito,
como una hierba,
como un niño nace.
Viene a la escuela,
juega en los niños,
de todas partes
trae de los árboles
hojas y frutas
esa incansable
¿de dónde viene?
¿dónde se esconde?
nadie lo sabe,
viene del día,
viene del sueño,
de todas partes.
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