L'avion noir

"El Avión Negro" écrit par Roberto Cossa, German Rozenmacher, Carlos Somigliana, Ricardo Talesnik, est celui dans lequel Perón se serait trouvé pour son retour. Il apparaît comme un fantasme, un signe d'espoir pour d'autres. Mais très vite, le projet central du caudillo est assez clair : freiner les luttes, trahir les promesses et abandonner le peuple dans un moment décisif. 


Par la gauche apparaît l'évêque ; il fait quelques pas dans une attitude méditative et se dirige vers le public.
EVEQUE – Où nous conduit la violence, mes frères ? Où nous entraîne ce tourbillon d'incompréhension et d'orgueil ? (pause) Par dessus les factions qui divisent le peuple argentin et sur lesquelles je ne veux pas porter de jugement, je crois que si nous tournons les yeux vers le Ciel, nous arriverons à oublier nos rancunes fratricides et nous nous apercevrons de la petitesse et de l'insignifiance des nos bagarres... (avec un calme absolu, l'évêque enlève sa soutane, qu'il accroche à un porte-manteau, et apparaît en uniforme de général)
GENERAL – Il ne faut pas confondre la patience avec la faiblesse. Le gouvernement contrôle parfaitement la situation et assure l'ordre public, mais j'avertis qu'il ne tolérera pas la gymnastique révolutionnaire de groupes infiltrés qui cherchent à tromper la majorité du peuple argentin. Nous accomplirons inexorablement les plans prévus et nous retrouverons la grandeur morale et matérielle de la Nation. Mais nous exigeons ordre, responsabilité et confiance. (avec un grand naturel, le général enlève son uniforme, qu'il accroche à un porte-manteau, et reste en complet gris)
HOMME AU COMPLET GRIS – Comme chef d'entreprise argentin et homme de sensibilité moderne, je ne peux qu'appuyer les revendications de ceux qui aspirent à un juste et discret bien-être. Mais le problème, si on est objectif, c'est qu'il faut développer d'abord les entreprises, réussir le développement économique et la stabilité monétaire que tous nous souhaitons, et seulement ensuite penser à la distribution des bénéfices. Ce qui signifie, disons-le de manière un peu triviale, que pour découper la tarte, il faut d'abord qu'elle gonfle dans le four. (calmement, il quitte son costume qu'il accroche à un porte-manteau, et reste en bras de chemise, il met des lunettes et fait de nouveau face au public)
HOMME EN BRAS DE CHEMISE – Dans le fond, c'est un problème technique et comme tel il faut l'affronter. Si nous définissons le produit comme la différence entre la production et les intermédiaires, et si on le décompose en ces deux parties par secteur d'activité, on peut voir facilement que la valeur accumulée par chaque secteur est constituée par la rémunération des salariés et de la propriété du capital engagé plus les crédits par dépréciation des biens de l'actif fixe. (tranquillement, il se déshabille et reste quasiment nu)
HOMME NU – Mais de quoi ils se plaignent... ? Si dans ce pays il n'y a que celui qui ne veut pas qui ne mange pas... Si tout le monde est sapé comme des ducs... Si avec ce qu'on trouve dans nos poubelles on fait manger tous les gosses du Biafra... Si tous les jours il y a plus de Fiat 600 dans les rues... Si les baraques misérables sont pleines de téléviseurs... De quoi ils se plaignent, hein ? De quoi ils se plaignent ?

Peron à son retour, le 2 décembre 1954, mais l'avion n'était pas noir...

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