Pedro Orgambide
Né en 1929 à Buenos Aires, Pedro
Orgambide se révéla en 1948 par un recueil de poèmes, puis en 1954
par un essai sur Horacio Quiroga. Il fonda ensuite la revue Gaceta
Litereria qu'il anima de 1956 à 1960. Au Mexique où il résida
durant dix ans à partir de 1975, il a codirigé la revue Cambio. La
dénonciation sociale par l'humour du quotidien argentin, avec
souvent une touche de fantastique, est une constante dans ses
fictions. Il est mort en 2003.
Elle joue du violoncelle dans la rue en terre battue et les gens du village la regardent à peine, car depuis des années elle se produit chaque fin d'après-midi et personne n'a l'idée d'interrompre le concert de la femme de l'Allemand ou dire que c'est une folle qui a sa manie. Non, sauf peut-être si un touriste demande pourquoi il y a une femme qui joue du violoncelle dans la rue en terre battue. Alors, si l'on en éprouve l'envie, on lui raconte l'histoire. Sinon, on tourne les yeux vers les montagnes couvertes de neige et l'on garde le secret, comme on le fait en famille, ce qui est beaucoup plus sage. Car, en réalité ceux qui ne sont pas d'ici n'entendent rien à ces choses-là, aux gens qui deviennent fous quand le vent du sud se met à souffler et que l'on reste des heures durant avec ses pensées. Oui, cela arrive : on est en train de carder la laine ou de manier la scie ou... bon, peu importe ce que l'on fait quand, soudain, telle la folle au violoncelle, le vide vous surprend, la solitude et l'inaction, tandis que le vent du sud se met à souffler. Ce n'est pas facile. On peut se perdre dans n'importe quel délire, s'y égarer, comme cette pauvre femme, tandis que les hommes de l'hôtel (le commis voyageur, le secrétaire, le géologue) font des paris sur le moment où elle cessera de jouer, sur le temps où elle restera là avant que l'Allemand ne les soulève doucement, elle et son instrument, et ne les emporte dans leur maison...
traduction de Marie-Claude Castro
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