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« Il faut
continuellement commencer par la fin »
Stanislaw Jerzy Lec
J'étais apprenti-comédien et
j'essayais tout simplement de jouer. Personne ne m'ayant appelé pour
un rôle, je jouais mes propres textes dans un registre comique.
Comme on dit, je courais le cachet. Un soir dans le Nord, un autre
soir en Bretagne, et ainsi de suite. Je rencontrais (ou plutôt je
tentais de rencontrer) les directeurs de théâtre ou de Maison de la
Culture, ou même de Maison de Jeunes, (ce qu'on appelait alors
M.J.C.), de Foyer Léo Lagrange, de ma région. C'était toujours
assez pénible. En général, le directeur en question n'avait qu'un
but dans la discussion : éviter que je joue dans sa salle. Ou
alors à certaines occasions bien précises, hors programmation ou
lors d'une soirée pour « artistes locaux ».
Je ne
comprenais pas à l'époque cet ostracisme systématique. Il m'aurait
semblé normal qu'un directeur de théâtre me soutienne, me dise :
« Tu es comédien, j'ai une salle de spectacle, on va
travailler ensemble ». Mais non, surtout pas. Aujourd'hui je me
dis que ce refus de faire jouer des comédiens de la région venait
toujours de cette même idée que « s'il est du coin, ça ne
peut être un professionnel ». Il oubliait que lui aussi le
plus souvent était du coin. Ou plutôt, il ne l'oubliait pas. Son
raisonnement était le suivant : « J'ai pu réussir à
occuper ce poste après avoir fait trois ans à la voirie, et
renifler quelques derrières ; il est clair qu'un gars de ce
département n'a pas plus de qualité pour jouer que j'en ai pour
diriger un théâtre ». Il recevait avec un extrême intérêt
un artiste de Marseille ou de Bordeaux, de Paris évidemment. Mais un
type qui habite à quelques kilomètres, c'est franchement douteux et
tout à fait dissuasif. Je sais bien qu'un proverbe italien dit :
« Que Dieu nous garde du mauvais voisin, et du violoniste
débutant », mais je doute qu'ils en avaient connaissance.
Quand un de ces directeurs daignait me
recevoir, il me faisait comprendre qu'on avait besoin de moi nulle
part. Bien sûr, il ne me le disait pas comme ça, mais il
m'expliquait qu'il n'avait pas encore fait sa programmation et
quelques jours plus tard que sa programmation était bouclée et
qu'il ne pouvait pas rajouter quoique ce soit. A croire qu'il faisait
sa programmation en un quart d'heure et qu'il fallait tomber pile à
ce moment-là. Il expliquait qu'il avait de grosses productions
internationales qui coûtent très cher et que si je voulais il me
trouverait des places à demi-tarif. Je ne pouvais que remercier, en
me disant qu'un artiste local évidemment face à une telle
concurrence internationale...
Tout changea lorsque je participai au
festival d'Avignon : mon spectacle fut remarqué par des médias
reconnus et je trouvais ensuite non seulement des tournées, mais
aussi des rôles dans d'autres pièces. Les mêmes directeurs qui
avaient beaucoup de mal à m'accepter dans leurs bureaux,
m'invitèrent alors à Avignon à prendre un verre dans leurs hôtels
avec piscine, me présentèrent à leurs collègues en disant qu'ils
m'avaient découvert et qu'ils avaient toujours été sûrs « que
je percerai ».
Quand je me suis retrouvé dans cette
même position de directeur de théâtre, par vengeance, j'ai tout
fait pour que les jeunes puissent avoir leur place sur la scène et
c'est une des plus belles aventures de ma vie.
Le Chat Botté, par les jeunes comédiens de l'Ateneu à Iasi
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