Juan Gelman

Dibaxu, recueil de poèmes du poète argentin Juan Gelman, écrits durant son exil européen et parus en 1994, fut inspiré par les poèmes écrits en sefardi par Clarisse Nicoïdski, auteure française d’origine yougoslave.


J’ai écrit les poèmes de Dibaxu en sefardi, de 1983 à 1985. Je suis d’origine juive, mais non séfarade, et je suppose que ceci a eu à voir avec l’affaire. Je pense cependant que ces poèmes sont surtout le point culminant, ou plutôt l’aboutissement de Citas y Comentarios, deux livres que j’ai composés en plein exil, en 1978 et 1979, et dont les textes dialoguent avec l’espagnol du XVIe siècle. Comme si rechercher le substrat de cet espagnol, qui est aussi substrat du nôtre, avait été pour moi une obsession. Comme si la solitude extrême de l’exil me poussait à chercher des racines dans la langue, les plus profondes et les plus exilées de la langue. Moi non plus je ne me l’explique pas.
Où est la clef de ton cœur
L’oiseau qui passa est malade
À moi, il ne me dit rien
Moi, il me laissa tremblant

Où est ton cœur à présent
Un arbre d’effroi brille
Je n’ai plus que les yeux pleins de faim
Et un verre sans eau
Sous le chant est la voix
Sous la voix est la feuille
Que l’arbre a laissé tomber dans ma bouche

¿óndi sta la yave di tu curasón ?
il páxaru qui pasara es malu a mí no dixera nada
a mí dexara timblandu
¿óndi sta tu curasón agora ?
un árvuli di spantu balia
no más tengu ojus cun fanbre y un djaru sin agua
dibaxu dil cantu sta la boz
dibaxu di la boz sta la folya
qu’ilárvuli dexara cayer di mi boca

¿dónde está la llave de tu corazón ?
el pájari que pasó es malo
a mí no me dijo nadaa mí me dejó temblando
¿dónde está tu corazón ahora ?
un árbol de espanto baila
no tengo más que ojos con hambre y un jarro sin agua
debajo del canto está la voz
debajo de la voz está la hoja
que el árbol dejó caer en mi boca

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