Tununa Mercado
Née en 1939 à Córdoba, Tununa Mercado suit des études de lettres avant de quitter l’Argentine, en 1966, pour la France. Elle y reste trois ans et donne des cours à l’université de Besançon. Elle retourne en 1970 dans son pays d’origine, où elle devient journaliste pour le quotidien La Opinión. En 1974, elle est contrainte de partir s’installer au Mexique et y vit jusqu’à la fin de la dictature argentine. Elle continue alors sa carrière de journaliste, tout en étant critique d’art et éditrice pour une revue féministe. Elle revient en 1986 à Buenos Aires, où elle vit toujours avec l’écrivain et essayiste Noé Jitrik.
Essayiste et conteuse, elle a également écrit des romans. Son premier, Mémoire argentine (en espagnol, En estado de memoria, Ada Korn, 1990) a paru chez Sabine Wespieser éditeur en 2004. Elle écrit aussi des textes où l'érotisme est très présent, comme dans cette nouvelle qui s'intitule « Voir ».
Tous les soir, à la même heure, une femme se dénude et se donne du plaisir dans son lit, tout en sachant qu'un homme, dans l'immeuble d'en face, l'observe.
Le lit est le lieu de son corps ; elle peut tourner cent fois en rond dans la chambre, se regarder dans un miroir (il y en a un, sur le mur à côté de la fenêtre, ce qui fait qu'on ne le voit pas, mais elle prend des poses qui font supposer qu'elle se regarde dans un miroir), mais elle finit toujours par s'étendre dans le lit. On dirait que ses déplacements –d'une grande générosité pour celui qui observe- sont une sorte d'évaluation : de la situation de solitude, de l'appel qui va ouvrir cet espace intime à quelqu'un d'extérieur, du jeu qui va se prolonger des heures jusqu'à ce que vienne le sommeil, de l'état d'endormissement qui va accompagner les derniers moments de sa rencontre avec elle-même, de l'imaginaire instrumentalisé qui peut, cette fois -et toujours il y a une « cette fois » comme une stratégie de vie- lui prodiguer l'émotion maximale.Dans l'appartement du dernier étage de l'immeuble d'en face, l'observateur n'a pris aucune décision concernant cette femme nue qui se dépouille des derniers éléments qui l'attachent à la civilisation. Elle ne porte plus que sur la tête la serviette qui laisse déjà voir ses cheveux mouillés et roux, en liberté, collés sur le front, s'enroulant autour des oreilles et du cou. Lui est arrêté dans ce temps et dans cet espace de par sa volonté ; il mange de ce pain non seulement parce que c'est son aliment quotidien, mais aussi parce que cet acte simple de voir quelqu'un qui se laisse regarder finit par se transformer en une espèce d'opération qui par ses soustractions et ses additions peut être infinie, bien que tout cela soit limité dans le cadre d'un appartement avec une fenêtre donnant sur la rue Diez.
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