Adolfo Bioy Casares
Mémoire sur la pampa et
les gauchos.
La pampa et les gauchos, culminantes
manifestations de ce que nous sommes, où les surprendre ?
A la campagne, certainement pas. On y
trouvait la plaine, moins plate en général qu'onduleuse ; on y
rencontrait également des paysans ou des criollos, des gringos et
autres étrangers, des villageois, que nous méprisions, jugeant leur
présence à la campagne irrémédiablement dépassée (sans
réfléchir que, peut-être, pour qui vivait en permanence en ces
lieux, les villageois, c'étaient nous) ; mais la pampa, telle
l'eau bleue des mirages aperçus en chemin, se dérobait toujours à
nous, de même que nous ne croisions jamais d'homme que le monde
entier, y compris lui-même, tînt pour un gaucho.
Dans la province de Buenos Aires, je
n'ai connu aucune personne un peu familière de la campagne qui
prononçât le vocable pampa... Les petites phrases du genre je m'en
vais galoper un peu dans la pampa ne sont concevables que chez des
touristes de comédie, présentés comme des caricatures...
Quand j'étais enfant, il n'y avait pas
de gaucho. Concernant le problème du costume, je ne saurais omettre
de mentionner la réaction, mi-moqueuse mi-offensée, que suscita
chez les spectateurs de chez nous des années vingt le gaucho de
cinéma incarné par Rudolph Valentino dans Les Quatre Cavaliers de
l'Apocalypse. Nous prenions bien sûr à la rigolade le chapeau
cylindrique à bords larges, au mieux de gardien de troupeau andalou,
le pantalon bouffant, les bottes étincelantes, les divers détails
du costume, tous modifiés juste ce qu'il faut pour créer une image
d'une flagrante fausseté, en accord, cela dit, avec les gestes, les
élans, les regards, les oeillades, le tempérament de l'acteur. Nous
étions un peu agacés par la crainte qu'à l'étranger on pût
croire que c'était là le gaucho, mais réconfortés par la
certitude que personne, dans le pays, ne se laisserait berner. (…)
Les nouveaux rejetons du gaucho que
nous donnent à voir les chemins de la patrie, les foires, les
marquages au fer, les rodéos s'habillent désormais chez le tailleur
de Rudolph Valentino.
traduction de Julia Azaretto et Paul
Lequesne
Rudolph Valentino dans Les Quatre Cavaliers de
l'Apocalypse
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