Jorge Luis Borges
Bénarès en 1920 (peintre anonyme)
Bénarès
Fausse et drue
comme un jardin calqué par
un miroir,
la ville imaginée
que jamais n'ont vue mes
yeux
entretisse des distances
et répète ses maisons
inaccessibles.
Le brusque soleil
déchire une complexe
obscurité
de temples, de dépotoirs,
de prisons, de cours.
Il escaladera les murs
et resplendira sur un fleuve
sacrée.
Haletante
la ville qu'opprime un
feuillage d'étoiles
déborde l'horizon
et dans la maison pleine
de pas et de sommeil
la lumière va ouvrant les
rues comme des branches.
Il fait jour à la fois
sur toutes les persiennes
qui regardent l'orient
et la voix d'un muezzin
attriste du haut de sa tour
l'air de cette journée
et annonce à la ville de
tant de dieux
la solitude de Dieu.
(Et penser
que pendant que je joue avec
de douteuses images
la ville que je chante
persiste
dans un endroit prédestiné
du monde,
avec sa topographie précise,
populeuse comme un rêve,
avec des hôpitaux et des
garnisons
et de lentes promenades
et des hommes aux lèvres
pourries
qui ont froid aux dents.)
traduction de Jean-Pierre
Bernés.
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