Corrida à Buenos Aires

La corrida en Argentine fut introduite dès la fin du XVIIIe, mais ce n'était pas un spectacle très apprécié. Le collaborateur du Censor se fait le porte-parole d'une grande partie de la population de Buenos Aires quand il écrit, le 12 octobre 1815, avec ironie :

SPECTACLES

Dimanche dernier eut lieu une excellente corrida de taureaux, ce qui est toujours l'occasion pour la jeunesse de la capitale de prendre des leçons en voyant cette gymnastique morale et philanthropique, que nous conservons en l'honneur des douces coutumes que nous ont laissé nos parents. Notons que lors de cette sympathique réunion deux chevaux sont morts encornés, et nos enfants ont pu nourrir leurs cœurs de sentiments philosophiques, dans la contemplation des entrailles de l'une de ces bêtes que l'on a traînées pendant plus de dix minutes sur toute l'arène. Ils ont également rempli leurs âmes d'une agréable impression à la vue des toréadors avec leurs épées ensanglantées, donnant l'estocade aux taureaux, et s'exposant en même temps à la mort ou à la blessure, comme cela est arrivé d'autres fois sous les applaudissements d'un soir de gala. Et pour couronner le tout, après ces scènes académiques, on livre un taureau aux enfants afin qu'ils s'aguerrissent comme aficionados, ce qui tellement utile et important pour leur éducation. Il n'y eut pas de femme pour concourir, parce que les femmes de Buenos Aires ont tellement mauvais goût qu'elles ne participent pas à ces réjouissances si appréciées. Vous faites bien, vertueuses dames ! Mon cœur ne peut vous donner d'autre conseil que de vous abstenir d'un divertissement si barbare ! Comment est-il possible que le gouvernement -animé de tant de nobles et magnanimes résolutions- admette encore ces monuments érigés à la férocité et à la barbarie ? Comment se fait-il, alors qu'il est question d'améliorer la société, qu'on permette en notre cité ces scènes sanguinaires que les nations civilisées qualifient à juste titre de barbares ? J'entends ce qu'on pourrait me répondre... qu'il faut bien distraire le peuple... que Rome a eu ses gladiateurs... et Athènes ses combats de bêtes sauvages... Oui, c'est prévisible, pauvre peuple ! Le peuple généralement est docile, et le peuple ne peut vouloir de lui-même ce qui est mauvais, si on lui montre ce qu'il en est réellement. Cette arène d'horreurs et de sang pourrait se reconvertir le soir en un Colisée où se joueraient comédies, scénettes, pantomimes, voltiges, danses, spectacles équestres et autres choses qui peuvent agréablement divertir nos soirées, et qui soient compatibles avec nos douces coutumes, le bon goût, et avec une éducation qui inspire à la jeunesse des sentiments humains et sublimes à l'occasion... Croyez bien que notre journal el Censor n'a pas d'autres buts que d'apporter à la patrie tout le bien possible...

Puis l'interdiction qui frappe les courses de taureaux en 1819 tue au milieu de l'indifférence générale un spectacle qui ne semblait nullement indispensable aux réjouissances populaires...

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