Héctor Levy Daniel
Héctor
Levy-Daniel est
né à
Buenos Aires. Il est dramaturge, metteur en scène, universitaire,
essayiste. Il a écrit une thèse sur Nietzsche. Il a reçu de
nombreuses récompenses, et plusieurs bourses pour faire des
créations. Il a écrit plusieurs pièces sur le thème du
nazisme : Rommer ,Los
últimos crímenes, Memorias de Praga, Las mujeres de los nazis. Il
a publié plusieurs essais sur Bertolt
Brecht, Harold Pinter, Anton Chejov, Samuel Beckett, Marlon Brando
entre autres.
Dans Le
fruit le plus amer une
femme a perdu sa fille dans un incendie. Convaincue qu'elle est
encore en vie, elle la cherche pendant des années et finalement
réussit à la retrouver : adoptée comme un enfant dans le sein
d'une famille riche, sa fille est devenue une personne puissante et
despotique. La femme essaie d'entrer dans la famille comme une
employée de maison pour prendre contact avec sa fille...
LUISA – Il y avait longtemps que
j'avais ma maison à Piedrabuena. Un village qui se trouve à huit
cents kilomètres d'ici. Je vivais avec Lena, ma fille de trois ans.
Mon mari venait de mourir dans un accident. Un matin, il y eut un
incendie dans le village, et trente maisons ont brûlé. La mienne
aussi a brûlé. J'ai perdu tout ce que j'avais. Mais le pire, c'est
que j'ai perdu Lena. On m'a dit qu'elle était restée à l'intérieur
pendant l'incendie. Mais ce n'était pas possible, moi, je l'avais
sortie, je me souvenais bien, je l'avais couverte avec une petite
couverture, sa petite couverture verte. On m'a dit qu'elle était
morte. Je ne l'ai pas cru. Je l'ai cherché, cherché ce matin-là,
le lendemain et les jours suivants, pendant des mois, des années, je
n'ai pas arrêté de la chercher. Pas une seule heure, pas une seule
minute. J'ai fait toutes les routes, toutes les rues de tous les
villages. Je survivais en vendant de la nourriture. Si ma fille n'est
pas morte ce matin-là, alors elle a traversé le désert toute
seule, c'était impossible, mais je continuais à la chercher. Un
jour, une femme me dit qu'il y a des années une famille de son
village a récupéré un fillette très sale et très maigre, et elle
est restée avec cette famille quelques mois, jusqu'à ce qu'un
dimanche matin une femme vienne la chercher dans une auto blanche
décapotable. C'était une femme très riche, aux cheveux roux. Quand
j'ai été prévenue de cela, beaucoup d'années avaient passé, plus
de vingt-cinq. J'ai pu retrouver la trace de cette dame. (un temps)
Je l'ai retrouvée ici. Je me suis proposée comme employée de
maison. Madame Teresa, votre maman, m'a prise. (un temps) A peine ai-je vu Lena que
je l'ai reconnue, malgré tant d'années. Je savais que je n'en dirai
jamais rien, mais au moins j'allais vivre près d'elle.
MARÍA – Qu'est-ce que vous voulez
dire. Vous êtes une menteuse, une tarée. Vous répétez bêtement
ce qu'on dit dans le village.
LUISA – Vous l'avez donc entendu vous
aussi.
MARÍA – Je n'en ai jamais cru un
seul mot. Et d'ailleurs je m'en fiche. La racaille sera toujours de
la racaille. Déjà quand j'allais au collège, je voyais bien qu'ils
baissaient la voix quand je passais. Je me suis habituée. Et
maintenant c'est vous qui venez avec ces mêmes conneries. Vous me
prenez pour une idiote.
LUISA – Vous avez une brûlure au
bras et une autre à la jambe. Comment croyez-vous que ça vous est
arrivé ?
MARÍA – Vous me prenez vraiment pour
une idiote. Vous avez dû voir ces marques depuis que vous êtes
arrivée et vous avez inventé toute cette histoire.
LUISA – Regardez ces photos.
Regardez-les. Vous voyez bien. Vous avez le même visage qu'à
l'époque. Vous êtes Lena.
MARÍA – C'est du délire. Reprenez
vos photos, ce sont des cochonneries. Je ne veux plus échanger un
mot avec vous. Vous allez partir. Partir immédiatement.
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