Juan Gelman
POESIE EN TEMPS DE CRISE
Je crois que la poésie et l'art en
général -c'est ce que disait Marx il y a longtemps- est la plus
grande joie que l'être humain puisse se donner à lui-même. En
plus, je crois qu'en ce moment de crise, de désespoir, la poésie
est encore plus utile que dans les périodes moins dures.
POESIE ET DICTATURE
Je crois que le simple fait
d'écrire de la poésie est un forme de résistance, le simple fait
d'écrire. Il y a un processus de « chosification », de
déshumanisation, et il y a la poésie et l'art pour combattre cela
par le seul fait d'exister sans qu'on ne vous demande rien. Que se
passe-t-il aujourd'hui avec la poésie et la politique ? Elles
sont sur deux plans totalement différents. La poésie est une
bouteille jetée à la mer que quelqu'un recueille, par ici ou par
là. Je préfère que la poésie reste avec la poésie. Le véritable
thème de la poésie est la poésie elle-même, et à partir de là
elle peut parler de tout. Ceux qui s'indignent parce que la poésie
de traite pas d'événements politiques sont les mêmes qui n'ont pas
lu Shakespeare, ni Dante, pour ne citer que ces deux anciens. Rien de
ce qui est écrit en exil n'est coupé du pays, mais au contraire
c'est toujours rempli du pays. Et c'est encore le cas aujourd'hui. En
réalité, il est impossible de ne pas entendre l'âme du pays.
CIRCONSTANCES
Il y a une anecdote sur Paul
Eluard, le grand poète français, qui illustre ce que je pense. En
1950 éclate la Guerre de Corée, vraisemblablement parce que ceux du
Sud ont envahi le Nord, ou inversement. Paul Eluard était membre du
Parti Communiste Français. C'était avec Louis Aragon, le grand
poète du Parti. On ressentait la nécessité d'écrire des poèmes
sur le thème de la Guerre de Corée. Paul Eluard n'en fit aucun et
il expliqua à ceux qui le lui reprochaient qu'il n'écrivait des
poèmes sur un thème politique que lorsque cela correspondait à ce
qu'il ressentait au fond de lui. La poésie de circonstance devait se
superposer à une poésie venant du cœur. Parce que, sinon il avait
l'impression de s'incruster dans une histoire qui a plus à voir avec
le pamphlet. Il fallait que cela corresponde à une obsession
poétique -et non à une injonction du Comité Central du Parti- et
d'ailleurs il a fait partie de la Résistance, sans qu'il y ait une
ligne dans son œuvre qui en parle.
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