Revue "Nombre"
La revue Nombre n'eut que
quatre numéros entre mai et août 1949, mais elle fut notamment
animée par le Bolivien Ramiro Tamayo, que Borges considérait
comme le plus grand poète de l'époque, « bien qu'il soit
quasiment inconnu dans son pays et absent de tous les manuels de
littérature ».
Voici le poème qu'il écrivit pour le
premier numéro de la revue :
CHANSON POUR UNE AUTRE
CHANSON
1
Inévitablement je la vois
traverser mes soirées
Comme une rose épanouie
Comme une constellation
d'étoiles
Comme une veille et un ciel
qui commence
à une portée de cavaliers
ou dans un printemps beau et
solitaire
débutant par un rêve de
cavaliers.
Ainsi, ainsi les amis, je la
vois traverser mes soirées.
Inévitablement.
Et elle porte une parure
mélangée aux guirlandes
et un livre oublié dans une
main.
Et elle apporte un temps
frais sur les résédas jaunes
et une promesse de soleil
pour bientôt.
Ainsi inévitablement les
amis
elle traverse mes soirées.
De la mer il est une côte
recherchée
pour la douceur du couchant.
Et dans cette rue, et dans
ce village, et dans cette avenue
une antique splendeur, une
proclamation,
une insistance de cloches
cristallines
pour qu'on se souvienne des
paysages.
C'est, enfin, une saison qui
déborde
dans un infatigable ballet
de nuages.
Ainsi je la vois traverser
mes soirées,
les amis :
inévitablement.
Il y a tant de bonheur dans
sa beauté,
et pourtant c'est une
constellation si lointaine.
Il y a une profonde clarté
dans son être ;
et pourtant un sursaut, une
absence,
quelques miroirs multipliant
le jour ;
peut-être une ancienne
résidence.
2
Ainsi je l'aime les amis :
avec sa parure et ses miroirs
avec son livre et ses
constellations
avec cette collection
secrète d'océans dans les yeux,
et tous les vieux objets de
la ville.
Ainsi je l'aime les amis :
avec son bonheur et son destin,
avec ses pétales nocturnes
et ses aubes rouges
avec cet interminable
horizon de chants
qu'elle apporte de loin,
comme une clameur marine.
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