Sidonie a plus d'un amant
Sidonie
a plus d'un amant
Je
trouve un homme dans mon lit et, en fouillant un peu, ma femme dans
le placard. Je lui dis :
-
Vous vous êtes trompée, ma chère. D'habitude, c'est l'inverse,
non ?
Elle
me répond :
-
C'est parce que je croyais que j'étais chez lui.
C'est
vrai qu'aujourd'hui tout le monde est meublé à la même enseigne.
Juste à la place du poster de Che Guevara, celui de John Lennon. Les
deux sont barbus et dans le noir... Mais je me reprends rapidement
pour lui montrer que je ne suis pas dupe.
-
Néanmoins, vous étiez dans mon lit avec un homme qui n'était pas
moi.
- Il
est plus léger que vous, il ne va pas l'abîmer, ce lit.
- Que
cet homme soit dans mon lit, soit ! Ne soyons pas mauvais
coucheur. Mais il ne m'est pas agréable qu'il partage cette couche
avec vous. Vous pouvez le comprendre.
- Je
sais. C'est pourquoi je pensais qu'on était chez lui.
-
Peut-on au moins savoir à qui nous avons affaire ?
-
C'est un homme distingué.
- Que
voulez-vous que je distingue dans cette semi-obscurité ?
L'homme,
qui était jusqu'alors caché sous les couvertures, se redressa alors
pour s'asseoir dans le lit.
- Je
me présente Corentin de Saint-Amour, juge à la Cour d'Amiens.
- Et
vous, vous ne saviez pas non plus que vous n'étiez pas chez vous ?
-
Vous savez, en plein final de turlutte...
-
Enfin, cher Monsieur, vous prenez mon lit et ma femme, alors que
nous n'avons jamais été présentés...
- Je
reconnais que la situation n'est pas à mon avantage. Nu, le sexe un
peu dégonflé, mais si vous m'aviez vu cet après-midi encore au
tribunal de Grande Instance... Les affaires du tribunal de grande
instance sont, en règle générale, jugées par trois magistrats,
dont l'un est président et les deux autres sont assesseurs.
- Et
alors ?
- Et
alors, sachez que je ne suis jamais assesseur, c'est pour vous dire.
Le président du tribunal de grande instance a des compétences
administratives, mais aussi des compétences juridictionnelles
propres. Par exemple, il peut prendre des ordonnances de
référé lorsqu’il s’avère nécessaire de prendre
rapidement une mesure provisoire. Le président du tribunal de
grande instance est également compétent pour rendre
des ordonnances sur requête. Pour vous donner une idée, le
tribunal de grande instance ne juge pas des affaires dont la valeur
est inférieure à 1000 euros.
Ma
femme prit alors la parole :
-
Vous voyez bien maintenant que c'est un homme de valeur. Certes,
pour l'instant, avec son bistouquet tout racorni, il ne paie pas de
mine, mais...
-
Ecoutez, il était convenu qu'on ne s'attaquait pas sur le physique.
Il faut juger le fond. Vous pouvez engager une procédure pour
conduite adultérine à l'encontre de la femme Levavasseur Sidonie,
soit votre épouse.
-
Moi, je n'ai rien à voir avec tout cela. Vous avez bien vu :
quand vous êtes entrés, j'étais dans l'armoire. Je n'ai rien vu.
-
Vous y étiez nue, ma chère, ce qui laisse supposer...
- Je
vous en prie, Edmond. Laissons les suppositions au Café du Commerce
où les ragots vont bon train.
- Et
puis-je m'autoriser à demander comment cette idylle a pu naître
entre personnes qui n'avaient que peu d'espoir de se rencontrer ?
-
Madame conteste un héritage. Elle estime que la personne qui a
soigné son père a détourné le testament en profitant du peu de
lucidité que lui ont laissée ses dernières années. Je suis saisi
de l'affaire et nous entrons en consultations. Sur le plan civil, si
l’infraction de recel successoral est caractérisée, l’héritier
fautif pourra être condamné à vous verser des dommages-intérêts.
-
Toujours cette vieille histoire de captation d'héritage... Ca fait
dix ans que vous m'en rabattez les oreilles...
- Je
ne lâcherai rien.
- Et
tout ça, pour récupérer des cuillers en argent et autres
babioles.
- En
tout cas, l'affaire dépasse les 1000 euros, sinon...
A un
moment tout de même, je demande à ce monsieur, dont la nudité
commençait à m'insupporter, pourquoi il s'était lancé dans une
telle entreprise de séduction qui l'a conduit à ce frotti-frotta
sexuel.
- Je
travaillais sur le dossier de madame, et quand je travaille, je mets
la radio pour me tenir au courant de l'actualité. Et passe cette
chanson : « Sidonie a plus d'un amant » :
Sidonie
a plus d'un amant
C'est une chose bien connue
Qu'elle avoue elle fièrement
Sidonie a plus d'un amant.
C'est une chose bien connue
Qu'elle avoue elle fièrement
Sidonie a plus d'un amant.
Et
chantée par Brigitte Bardot, s'il vous plaît ! Alors, je me
demande quelle est la réalité de cette ritournelle. J'apprends
qu'il s'agit au demeurant d'un poème de Charles Cros. Tous les
lettrés que je fréquente me disent qu'on peut avoir confiance en
Charles Cros, d'autant qu'il est aussi l'inventeur du phonographe.
Enfin, disons de l'ancêtre du phonographe.
-
Mais c'est une chanson, une bluette ! Alors, vous vous êtes
dit, si elle a plus d'un amant, un de plus, un de moins, ça ne se
verra pas.
-
On appelle pas sa femme Sidonie par hasard, tout de même !
-
Mais je ne l'ai pas appelée comme ça ! Elle s'appelait
Sidonie avant que je ne la connaisse. Et d'ailleurs, la preuve que
cette chanson manque d'un certain sérieux, c'est qu'il est dit :
Sidonie a plus d'un amant. Or, même si je vous fais la grâce de
vous compter, cela ne fait pas plus d'un amant. N'est-ce pas,
Sidonie, pour que la prédiction se réalise, il faudrait que vous
trouviez un autre amant, encore un autre.
-
Je comprends, je comprends.
-
Parce qu'avec moi, ça ne fonctionne pas. Je suis le mari. Et, du
reste, nous n'avons jamais été amants. L'Eglise nous en avait
interdit la pratique, la jugeant par trop sensuelle, ce qui peut se
comprendre.
-
Monsieur, vous me semblez avoir toutes les qualités du gentilhomme.
Pouvez-vous permettre à votre femme qui me fait pitié dans cette
armoire de me rejoindre sur le lit, en tout bien tout honneur bien
évidemment ? Nous serions ainsi comme les bourgeois de Calais
venant en chemise demander la grâce de la ville.
-
Je vous en prie, Sidonie ; il ne manquerait plus que vous
preniez froid.
Les
deux amants se sont donc assis ensemble sur la couverture du lit.
L'un contre l'autre, ils n'en menaient pas large, et j'aurais pu
alors me saisir d'un appareil photo pour garder une preuve de
l'adultère ou commencer une exposition à la Maison de la Culture
sur le thème : « Un corps, des lits ou le corps du
délit ». Mais je préférai me lancer dans une harangue en ne
me dissimulant pas la difficulté qu'il y avait ne pas tomber dans
une catilinaire ou une philippique.
-
Chers compatriotes, ma seule règle dans la vie a toujours de me
tirer d'une difficulté par le haut. Cette règle doit prévaloir
tout autant aujourd'hui. Nous n'allons pas profiter de cette
situation pour nous jeter à la figure les pires avanies. Hors de
question également que cette historiette sorte de cette chambrette.
La presse en ferait ses choux gras, et vous savez combien les choux
gras sont indigestes. Ainsi, toute chose étant égale par ailleurs,
si vous voulez bien reconnaître que vous avez, l'un comme l'autre,
agi à mon égard avec une indélicatesse proche de la gueuserie,
agités que vous étiez par l'attirance charnelle, je suis prêt à
passer l'éponge.
-
Monsieur, je n'en attendais pas moins de vous. Alors que nous étions
entre vos mains, tremblant comme des oisillons trop tôt sortis du
nid, vous nous offrez la joie de constater que tout n'est pas pourri
dans le monde actuel. Une telle générosité, qui vous rapproche de
la clémence d'Auguste, restera dans nos cœurs même au plus
profond de l'hiver. Aussi, j'oserais peut-être vous demander une
dernière faveur.
-
Faites donc.
-
Vous le voyez, votre femme et moi, sommes nus, l'un contre l'autre.
Nous commençons à prendre froid. Pourriez avoir l'extrême
compréhension de nous permettre de finir ce que nous avons commencé
et que vous avez interrompu ? De toute manière, le délit est
déjà consommé, nous ne pouvons plus ni l'effacer, ni l'aggraver.
L'interruption de l'orgasme pour un homme comme pour une femme peut
causer de réelles séquelles. Je pense que ce ne serait pas abuser
de nous y autoriser. Votre présence d'ailleurs sera le garant de ce
que les ébats ne dépassent pas une certaine limite que ce soit
dans la lubricité comme dans la durée.
-
Faites donc.
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