Ricardo Piglia
Ricardo
Piglia
est né en 1940 dans la province de Buenos Aires. D'abord auteur de
nouvelles avec l'Invasion
(1967),
il est dès son premier roman, Respiration
artificielle,
reconnu comme une figure majeure de la littérature argentine
contemporaine. Couronnée par de nombreux prix, son œuvre est déjà
largement traduite. La
Ville absente
est
paru pour la première fois en français aux éditions Zulma en
septembre 2009.
Paru
à Buenos Aires en 1997, Argent
brûlé (Zulma,
2010) a été récompensé par le Prix Planeta. Il a été porté à
l'écran en 2001, sous le titre Vies
brûlées,
par le réalisateur Marcelo Piñeyro.
L'Invasion
Quand le verrou claqua, il les devina
derrière lui, au fond de la cellule.
Il resta immobile, face à la porte,
jusqu'à ce que s'éteignit la rumeur de la salle de garde. Alors il
se retourna et les trouva où il l'avait prévu, l'un debout à
distance du mur, comme en équilibre et à demi vêtu, l'autre, un
brun à lunettes, couché sur le sol.
Dehors, on lui avait enlevé sa
ceinture et les lacets de ses bottines. Sentant son pantalon flotter,
il était inquiet, il se sentait nu.
Il marcha vers le milieu de la cellule,
péniblement, en traînant les pieds, où il s'arrêta, indécis. Son
pantalon glissait sur ses hanches, il le retint de la main droite.
Au fond de la pièce, les deux autres
le regardaient. Le plus grand se balançait doucement. Touchant le
mur de son épaule pour de nouveau s'en écarter, il fumait sans ôter
la cigarette de sa bouche.
L'homme qui venait d'entrer sourit.
- Je m'appelle Renzi, dit-il.
Tenant son pantalon de la main gauche,
il se dirigea vers eux, la droite tendue.
- Renzi...
L'homme debout s'appuya contre le mur,
puis fit un signe de la tête. Plus qu'un salut, il sembla vouloir
affirmer quelque chose. « Celaya », crut entendre Renzi.
Le brun assis par terre, presque
couché, jambes écartées, le visage noyé dans l'ombre du mur, ne
bougea pas.
- Et toi ? dit-il à Celaya en train de s'asseoir tandis que le corps du brun semblait soudain surgir du sol. Et vous, rectifia-t-il, pourquoi êtes-vous là ?
- Nous sommes où ? dit Celaya lentement, en choisissant ses mots.
- Ici, répondit Renzi en le regardant. Ici, en taule...
- En taule ? répéta-t-il marquant une pause, comme s'il avait du mal à comprendre. On a déserté...
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