avenida Corrientes
Borges est né tout à côté, « calle Tucuman, entre Suipacha et Esmeralda, dans une maison basse aux fenêtres à grille en fer forgé. Il y avait un porche couvert, plusieurs patios, il y avait une citerne, des toits terrasses ».
Cortazar a assisté dans les années 1940 à des centaines de matches de boxe au Luna Park, lieu iconique ; il a rencontré sa première femme à la Confiteria Richmond, repaire du Groupe de Florida, et pris son dernier café portègne au Café Ouro Preto, où il donnait une interview au correspondant du Monde Diplomatique en décembre 1983.
Le Café Brasil plus connu sous le nom de Los Inmortales était le haut lieu de la bohème au début du Xxe siècle, et juste à l'angle d'Esmeralda, le Café Rex où l'écrivain polonais Wiltold Gombrowicz, exilé en Argentine de 1939 à 1963, traduisit son roman Ferdydurke, toujours en compagnie de l'écrivain cubain Virgilio Piñera.
Corrientes est « la rue la plus portègne de Buenos Aires » selon Leopoldo Marechal, bien qu'elle rappelle Broadway ou les grands boulevards parisiens.
Et voici ce qu'en disait Roberto Artl :
Ce n'est pas en élargissant la rue Corrientes
qu'on changera son esprit
La vraie Corrientes commence pour nous rue Callao et se termine rue Esmeralda. C'est le cœur de la ville. C'est la rue par excellence. La rue dont rêvent les Portègnes quand ils sont en province. La rue qui arrache des soupirs aux bannis de la ville. La rue qu'on aime, qu'on aime pour de vrai. La rue qu'on a plaisir à parcourir de bout en bout parce que c'est la rue de l'errance, de la flânerie, de l'oubli, de la gaieté, du plaisir. La rue dont le nom embellit le début de ce tango :
Corrientes... tres, cuatro, ocho... (au 348, il y a un lupanar très célèbre)
Ce n'est pas la peine de tenter de la réformer. De la rendre respectable. Portègne de souche et de cœur, elle est si profondément imprégnée de cet esprit qui est le « nôtre » que même si on rasait toutes les maisons, même si on désinfectait ses égouts à la Créoline, la rue resterait ce qu'elle est... L'artère où l'errance est belle et où même le plus inoffensif des miséreux se donne des airs de grand seigneur et de flambeur à la retraite.
Et cette partie de la rue est belle parce qu'elle semble dire au reste de la ville, sérieuse et grave : « Je me moque bien d'être sérieuse. Ici, la vie est différente. »
Et c'est vrai, la vie y est différente. Différente à sa manière. Les gens changent mentalement de peau dès qu'ils passent d'une rue morte à celle-ci, où l'insolence éclate sous toutes ses formes, du cireur de chaussures qui annonce une promotion jusqu'à la manucure qui discute à la porte d'un salon avec un comédien, un de ces comédiens dont les joues flasques dont un reflet bleuâtre et qui se croient des génies en disgrâce, sans être malheureux pour autant.
Rue belle et farouche.
Eaux-fortes de Buenos Aires (1963)
CARLOS GARDEL A MEDIA LUZ Corrientes 3 4 8 segundo piso ascensor no hay porteros ni vecinos adentro cocktail y amor
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