Jorge Luis Borges
LE JARDIN BOTANIQUE
Très loin de nous
et même si nos mains attestent les troncs
les arbres qui balbutient à peine l'existence
lâchent en arrière de l'inconnu
leur vaine flambée de feuilles aveugles
que dans une pieuse fiction s'enlacent au-dessus de nous
comme infléchies par la voûte céleste.
En un suprême isolement
Chaque arbre poignant est perdu
et ses vies sont isolées et farouches
tels des miroirs qui approfondissent des chambres distinctes
ou comme les songes de nombreux dormants
que réunit un même toit.
Pendant ce temps
à côté de leur existence primordiale
nous aussi, obscurément nous nous cherchons
dans notre chair unique et déchirée,
gauche secret qui à grands cris
et dans une tristesse angoissée nous entraîne
et nous ronge le cœur
avec la grave efficacité d'une peine.
Lourde angoisse
qui n'est autre cependant que le vague pressentiment
du désir et de l'enthousiasme douloureux
que dut ressentir Dieu à l'aube de la Genèse,
et qui ne s'est toujours pas épuisée
dans la prodigue flopée d'étoiles, de voix, d'âmes et de couchants
que proclame le temps jaseur
et qui embrasse l'espace de science naturelle.
(J'ai vu en sortant, dans un groupe turbulent de fillettes
une jeune enfant si jolie
que mon regard aussitôt a cherché
la conjecturale sœur aînée
qui abrégeant les longueurs du temps
ai atteint cette quiète beauté brune
Cette perfection épanouie
que balbutiait la petite.)
traduction de Jean-Pierre Bernès
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