Jorge Ricci

 


« Pour le théâtre, nous n'avons jamais vécu une situation aussi limite que celle-ci. » Le dramaturge, acteur et metteur en scène Jorge Ricci considère que le théâtre est une des formes artistiques qui souffrent le plus de la pandémie. C'est une situation atypique pour un secteur qui jamais ne s'est arrêté, malgré les coups bas des différentes dictatures militaires.

En 2011, il avait écrit « La partie de truco » (le truco est un jeu de cartes) qui mettait aux prises Borges et Perón. Une rencontre qui n'eut jamais lieu. Une partie de cartes imaginaire. Un jeu dans le jeu. Hors de la réalité quotidienne, Perón invite Borges à prendre le thé. Les deux jouent au truco pendant qu'ils évoquent leur vieil antagonisme. L'humour et l'ironie sont les cartes des deux rivaux. Ce qui aurait pu être une situation hautement dramatique, se transforme en une franche et chaleureuse rencontre. Comme chacun sait que cela ne s'est jamais produit, la pièce nous propose d'imaginer cette rencontre comme un métaphore d'un monde plus habitable.

PERON – Moi, j'ai toujours aimé « Borges et moi ». Pour moi, c'était comme dire « Perón et moi ». Et je l'ai paraphrasé bien médiocrement : « L'autre est celui qui parle à la foule, celui qui invente les slogans, celui dont la pensée s'inscrit dans le bronz. Moi, je m'attarde dans les bois et je suis le vol des oiseaux.

BORGES - Ce n'est pas mal ; j'imagine bien.

PERON – Et je voudrais vous confesser une chose : nous n'avons jamais eu un écrivain comme vous.

BORGES – Vous oubliez Leopoldo Marechal !

PERON – Je ne l'oublie pas et je l'estime. Mais vous, vous avez trouvé ce que nous, nous cherchions : La fin de Fierro, les patios de Carriego, les tangos, etc... Les sentiers de ces années de braise.

BORGES – Si vous continuez ainsi avec les éloges, vous allez me faire croire que c'est moi qui ai inventé votre formule « ni vainqueurs, ni vaincus ».

PERON - Non, mon ami, je ne plaisante pas. Dernièrement, je vous ai admiré jusqu'à vous plagier.

BORGES – Vous continuez à me paraphraser.

PERON – Pour vous montrer tout mon respect.

BORGES – Merci, Colonel. Mais le plus beau cadeau que vous m'avez fait, c'est de me donner aujourd'hui les meilleures cartes !

PERON – Je voulais vous voir gagner. Je n'accepte pas votre chagrin d'être minoritaire. Vous n'êtes pas tout seul, vous savez.

BORGES – C'est un autre point commun entre nous, n'est-ce pas ?

PERON – Peut-être.

BORGES – Ne serait-ce pas que cette décennie nous a rendu trop généreux ? Vous, qui revenez au pays et moi, qui accepte votre invitation.

PERON – L'invitation m'a emmené dans diverses discussions et je suppose qu'il en est ainsi pour vous. Par ailleurs, nous sommes ici, en train de tordre l'histoire.


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