Fileteado

 



Quelle esthétique liée au quartier,

au style baroque, au bandonéon !

Miniatures de faubourgs

paysages à l'huile de camphre.


Ainsi le poète tanguero Horacio Ferrer (1933-2014) décrivait-il le fileteado porteño, un art décoratif né à Buenos Aires au début du Xxe siècle. Le fileteado prend son essor dans la communauté immigrée italienne, grâce aux calèches et charrettes puis aux bus et aux camions de livraison, personnalisés pour être repérés au premier coup d'oeil, mais aussi pour exprimer l'orgueil des conducteurs. Il se caractérise par des lignes en spirales, des couleurs vives, un agencement symétrique et un jeu d'ombres complexe suggérant le relief.



 Petit à petit, les tôleries sont surchargées d'éléments décoratifs : fleurs, navires, soleils, mains entrelacées, animaux imaginaires ou réels, pierres précieuses et enfin rubans, fanions, torsades, portant souvent les couleurs de l'Argentine, entourés de filigranes, arabesques, parchemins, calices ou cornes d'abondance : autant d'éléments du style néoclassique alors à la mode en architecture. 


Sans oublier les phrases, peintes en lettres cursives ou en caractères gothiques, qui transforment en livre ouvert la ville sillonnée par les transports en commun :


A force de vendre des chiens... j'ai pu m'acheter cette niche.


Jésus-Christ est mon copilote.


Attention, si vous voyez ces lettres de plus en plus grosses, c'est que je suis en train de reculer.


Quand l'argent parle, la vérité se tait.


A chaque minute de tristesse, tu perds 60 secondes de joie.


Le monde a été et sera toujours une saloperie... si nous n'apprenons pas à nous respecter.


La seule chose qui m'embête, c'est TOUT.


C'est triste d'arriver à la vieillesse, mais c'est encore plus triste de ne pas y arriver.



Plaisanteries galantes ou machistes, vers de tango, sentences morales, adages existentiels, réflexions philosophiques dessinent ce que Borges nommait une « sagesse de la brièveté ».





En incarnant la tradition, l'histoire et sa transmission, aujourd'hui le fileteado n'est plus le signe de la fierté du travail, mais celui de l'identité portègne. Ce qui lui a valu d'être inscrit au Patrimoine culturel immatériel de l'humanité en 2015.






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