Jorge Luis Borges
Le temps légendaire ou historique des famines s'efface dans le poème « Ghetto » retranché du recueil « Ferveur de Buenos Aires », disparu dans l'édition de 1958, avec son titre premier « Juderia » argentine ou universelle qui devient une germanique « Judengasse » en 1943 et 1954.
Ghetto
Plaintes qui jamais ne cessent s'élèvent les murs haletants
Murs si escarpés que dans leurs profondeurs les hommes sont tombés.
Saignée jadis en vaines paroles aujourd'hui se sont cicatrisées les bouches
Muettes comme le haillon d'infini que les arêtes des corniches torturent
Et qui s'agenouille dans les yeux où la peur est aux aguets,
Tandis que dans le geste de la résignation les automnales mains s'abandonnent
Et les prières brisées s'effondrent du firmament implacable.
Les ailes repliées les chérubins ont suspendu leur souffle.
Devant le portail la foule s'est revêtue d'injures comme on s'enveloppe dans une guenille.
Dieu s'est perdu et des désespoirs de regards le cherchent.
Pressentant l'horreur des massacres les mondes ont suspendu leur souffle.
Une voix invoque sa foi : « Adonaï éhad » - « Dieu est un ».
Et la multitude chrétienne s'enfle, un pogrom aux poings.
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