Joseph Conrad vu par Jorge Luis Borges

 




Manuscrit trouvé dans un livre de Joseph Conrad


D'une blancheur jouant l'invisibilité,

La lumière est rayon cruel sous la persienne,

Flamboiement sur la plage et fièvre sur la plaine,

Du frémissant pays va s'exhalant l'été.


Mais les antiques nuits sont de profondes jarres

D'eau concave. Le flot s'ouvre à tous les chemins ;

Et dans d'oisifs canots, face aux astres lointains,

L'homme compte un temps vague aux cendres des cigares.


La fumée a brouillé les constellations,

La mémoire, les mots. Le monde apparaît comme

Un croisement de tendres imprécisions ;

Et c'est le premier fleuve et c'est le premier homme.


Joseph Conrad avait décidé d'être illustre ; il savait la portée géographique réduite de sa langue natale, le polonais, et pendant quelque temps il balança entre le français et l'anglais, qu'il maniait avec une égale maîtrise. Il opta pour l'anglais, mais il écrivit avec ce soin et cette pompe occasionnelle qui sont propres à la prose française.

Jorge Luis Borges

Introduction à la littérature anglaise





Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chagrin d'amour par Dumitru Crudu

Le train ne s'arrêtera plus à Montalembert

Tintin en Roumanie