Mariana Mazover
Piedras dentro de la piedra (2011) de Mariana Mazover
La pièce est une fiction qui se passe en 1982, en pleine Guerre des Malouines. Six soldats, quatre hommes et deux femmes, ont trouvé refuge dans une grotte souterraine où ils essayent tant bien que mal de survivre à cette horreur à laquelle ils ont été soumis. Tous déserteurs, ils sont désormais confrontés à deux ennemis : leur propre pays qui les fusillera s’il les trouve et les Anglais qui feront d’eux leurs prisonniers.
Et ils sont là, ces jeunes hommes et femmes qui s’efforcent à vivre en état de guerre, imposant des relations de pouvoir qu’aucun d’eux ne contrôlent ni ne comprend réellement. L’absurdité est présente tout au long de la pièce, dans ces personnages naïfs qui ne sont préparés en aucune manière pour affronter la puissante artillerie des soldats de celle qu’ils nomment « la vieille ». La tension est là, l’incertitude également, tous prisonniers d’un futur qu’on leur a imposé et animés par une unique mission : rester en vie.
La pièce est une mise en scène de Mariana Mazover qui s’est inspirée de fragments du livre « Los Pichiciegos » de Rodolfo Fogwill qui fût le premier à publier une fiction sur la Guerre des Malouines, un manuscrit qui fût reconnu bien plus tard, écrit contre les modalités discursives de la guerre et s’éloignant de la figure du héros.
Scène 6
Marcelino: Je
suis revenu par la prairie. Je les ai vus. Ils sont sur un énorme
héliport sur la mer.
(Tous
restent stupéfaits)
Marcelino: Et
ils ont fermé l'entrée du village avec des barrières mécaniques
en fer. Le ravitaillement ne viendra plus.
Gandini:
Mabel, fais un inventaire et fait les rations pour 5.
Enrique:
Pour 6.
Gandini:
Olga mangera la ration de ceux qui ont pris la responsabilité de sa
présence ici.
Enrique:
Ce n'est plus toi, le chef, Gandini, tu t'en souviens ? Rations pour
6, Mabel.
Gandini:
Bouge-toi, Mabel. Fais le compte des vivres, pour l'amour de
Dieu!
(Mabel
va compter le stock ; les autres attendent)
Oscar:
Marcelino, il ne fallait pas foutre en l'air toutes les boites de
salade russe ! Qu'est-ce qu'on va bouffer maintenant, tu peux me
dire ?
Marcelino:
Les cafards.
Enrique:
Ne l'attaque pas.
(Mabel revient)
Mabel:13 Kilos de farine. 500 grammes de sel. Le reste, c'est juste des infusions pour le maté... Plusieurs sortes de maté.
Gandini: On
peut faire du pain. Eau, farine et sel. A l'attention de tous :
à partir de maintenant nous ne sortons plus, même pour déféquer.
Mabel:
Il ne reste plus de bois, Gandini. Demain était le jour
d'approvisionnement en bois...
Gandini:Quelle
est la situation concrètement, Mabel?
Mabel:
Je ne peux pas le dire ici, Gandini. Ici, non.
(Gandini
et Mabel s'éloignent)
Olga:
Je ne vois pas quel secret ils peuvent avoir, puisque tout le monde a
vu qu'il n'y avait plus de nourriture.
Oscar:
C'est le protocole.
Oscar:
Ne t'attriste pas, Olga. L'estomac est un muscle. Moins on lui donne,
et plus il s'adapte à la réalité. Si le muscle se réduit, je ne
sais pas si on sent moins la faim. Ce que nous avons à faire, c'est
d'hiberner. Doucement, doucement, on peut tenir un an comme ça.
(Oscar
se couvre de sa couverture, il régule sa température. Il commence à
hiberner)
Olga:
Il y a trop de crevasses entre les roches. Quand le printemps va
commencer, avec le soleil, la neige va fondre et l'eau va filtrer sur
les parois. On va geler.
Enrique:
On bouchera les trous. Ce n'est pas un problème.
Olga
Ana:
Ou à n'importe quel moment le salpêtre des nappes souterraines peut
monter. Et alors, tout ce que le salpêtre touche se transforme en
roche. Combien de soldats sont restés pétrifiés au fond de leur
tranchée ?
Oscar:
On n'a pas pu les tirer de là ?
Olga:
Je te l'ai dit : ils sont devenus pierres à l'intérieur de la
pierre.
Enrique:
Moi, entre être attrapé ou pétrifié, je préfère encore la
pétrification.
Oscar:
Etre pétrifié ne donne droit à aucune médaille.
Enrique:
Qu'en sais-tu ?
Oscar:
Ca ne figure pas dans le manuel.
Commentaires
Enregistrer un commentaire