Les Mères de la Place de Mai
C'est en 1977 à Buenos Aires, que des femmes, sans nouvelles de leurs fils et filles, s'étaient croisées au hasard des commissariats, casernes, tribunaux, presbytères, et même des morgues. Partout, le même mur de silence.
Parfois, on leur répondait que leurs fils et filles étaient morts dans des affrontements avec les forces de l'ordre. Pourquoi alors refuser de leur remettre les corps ? D'un point de vue judiciaire, les habeas corpus présentés par les familles étaient systématiquement déboutés par les juges, qui assuraient que la personne recherchée n'était enregistrée, ni détenue nulle part.
Confusément, ces femmes commencèrent à comprendre que, par ces seules démarches, elles n'aboutiraient à rien. Un jour d'avril 1977, l'une d'elles, Azucena Villaflor, leur proposa de se retrouver Place de Mai, devant le palais du Gouvernement. Elle disait que c'était sur cette place historique que les Argentins s'étaient toujours réunis pour protester. Quand elles seraient suffisamment nombreuses, elles demanderaient à être reçues par le général Videla, le nouveau président. Le 30 avril, une quinzaine de mères, faisant taire leur peur, se retrouvèrent pour la première fois Place de Mai. La semaine suivante, la police leur a interdit de se rassembler sur la place. Elles devaient circuler. C'est ainsi qu'elles commencèrent à marcher, deux par deux, formant une ronde autour du monument central. Mais comment se reconnaître dans la foule ? Avec quelque chose qu'elles avaient toutes dans leurs placards : un lange de leurs enfants, qui plus tard est devenu un foulard blanc. Pourtant celles qui ont été connues comme les « Mères de la Place de Mai » étaient loin de former un groupe, et les différences sociales, politiques, idéologiques entre elles étaient grandes. Elles provenaient de milieux sociaux très divers, certaines de milieu ouvrier, ou de classe moyenne, d'autres liées à la bonne société, très catholiques. Toutes ont frappé à toutes les portes de l'Eglise pour s'entendre dire qu'il leur fallait maintenant prier beaucoup pour leurs enfants. En réponse à l'une de mes lettres, l'évêque de Parana et aumônier de l'armée, Mgr Tortolo, m'avait écrit que le mieux était de « me recommander à la très sainte Vierge Marie ». Dans un long texte qui fut publié dans le journal El Dia de Mexico, je lui demandais quelle consolation je pouvais bien attendre de la Vierge. A elle au moins on avait remis le corps de son fils...
Claude Mary
Une voix argentine contre l'oubli - 1999
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