Adriana Tursi
L'Etrange fugue de la vieille et de sa servante.
Deux femmes, la vieille et sa servante, vivent ensemble depuis leur jeunesse. Elles espèrent, enfermées dans la maison, que la peste ne les emportera pas. Partageant le même espace, les amours, les enfants, le bonheur, la tristesse, les heures qui ont marqué l'histoire du pays, elles ont la peste à leur porte, comme une immense menace. Elles décident de préparer la fuite de la ville, et c'est alors que surviennent les souvenirs qui jusqu'à ce jour les ont maintenues en vie.
VIEILLE – Je veux voir mon enfant !
SERVANTE – Non, si Dieu a voulu que ces hommes m'offrent leur charrette pour la matinée. Combien vous nous offrez ? Ils m'ont demandé. Quinze réaux, ai-je dit. Quinze réaux ?! Mais pour cet argent nous passerons le pont et nous irons où vous voudrez... Grâce à Dieu ! C'est juste ce que j'avais dans ma bourse. Quinze réaux, ni plus, ni moins. Je tombai à genoux sur le sol et j'ai béni le nom de San Benito, qui pour une fois sert à quelque chose. Qu'on répande de l'huile devant son autel. Derrière moi, on entendait les cloches de la cathédrale. Demander depuis si longtemps et enfin Dieu m'envoyait un signe.
VIEILLE – Quinze réaux, quinze couronnes, quinze chemins à parcourir pour faire fortune dans les rue de Pampelune avec un âne, une chèvre et un balai...
SERVANTE – Je me dis que cette fois il faut payer d'avance. Est-ce qu'on croit qu'on va me rouler ? Immédiatement j'ai vidé ma bourse et leur ai donné un par un les réaux... Qu'ils se volent entre eux, notre voyage est déjà payé. (pause) Tant que dure cette peste, les voleurs sont partout, ils tiennent les rues, pillent les maisons abandonnées, et s'en retournent en ne laissant que des os... Qu'ils prennent l'argent... Nous les avons payés ; ils doivent nous transporter !
VIEILLE – Moi, j'abandonnerai avec mon amour cette ville assiégée. Nous traverserons le fleuve sur un radeau tiré par un âne et une chèvre et ton balai servira de rame. Nous atteindrons un endroit où nous pourrons vivre notre rêve. Et nous ferons la révolution que notre pays attend. Nous la planifierons dans l'ombre et à distance comme les grands stratèges. Mon Poète sera la matière grise et moi sa muse inspiratrice. Toute révolution doit d'abord être incarnée par un être qui soit capable de la porter en avant. Et nous, amants libres et passionnés, maîtres de nos idées, nous serons ce corps. Le verbe incarné de la liberté de l'homme. Mettez mon enfant dans ma poitrine, pour qu'il sente dans mon cœur les battements passionnés de sa mère. La révolution se fera avec nos enfants ou ne se fera pas.
SERVANTE – Me suivras-tu si loin mon maître ? Ne t'occupe pas des paroles de cette femme, mais de celle qui tu as toujours servie et que tu suivras partout.
VIEILLE – Enlève moi cette eau glacée, hé... Enlève-moi ça ; j'en ai froid dans les os...
SERVANTE – Quelle eau glacée ? On étouffe dans cette maison.
VIEILLE – Toi, tu es chaude.
SERVANTE – Et vous, ne vous montrez pas à moitié nue à la fenêtre.
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