Conte argentin


 

Le renard et l'autruche

Don Juan avait passé la nuit, dans le terrier de la viscache. Ses hôtes étaient peu habitués à manger de la viande, et, comme à ce monsieur la verdure ne lui convient pas, il était à jeun et se préparait à faire un tour, pour voir s'il ne pouvait pas trouver une perdrix ou quelque chose comme ça. Se trouvant encore dans son gîte, il observa, parmi les brins de paille encore brillantes de rosée, une bande de petites autruches qui jouaient. Ses yeux jetèrent des étincelles et il se pourlécha les babines ; mais voyant qu'il y avait aussi les parents, il referma son bec. C'est que l'autruche est terrible quand elle a des petits et Don Juan sait bien qu'il ne sera pas facile de les attraper. Malgré tout, il sortit prudemment, frottant contre les touffes d'herbes sa panse vide, il s'approcha très près des autruchons et il calculait le saut qu'il lui faudrait faire pour en prendre un quand le père, le voyant, fondit sur lui, alors que la mère pressait sa progéniture, en voletant et en sifflant. Le renard aurait voulu fuir, mais il n'en eut pas le temps ; en quatre enjambées, l'autruche était sur lui, le frappant à coups de patte. L'idéal, quand on était en si mauvaise posture, c'était de faire le mort, et de recevoir en toute philosophie les coups qu'on ne peut éviter. Le renard se fit la réflexion que s'il essayait de s'échapper, l'autre le tuerait pour de bon. Il resta donc immobile au point que l'autruche le crut mort et rejoignit le reste de la famille. A moitié assommé par les coups, le renard restait étendu, attendant le moment propice pour prendre ses cliques et ses claques, quand il vit qu'il n'était pas très loin de la bande d'autruchons. Il ferma les yeux et resta calme. Le soleil commençait à chauffer et les mouches s'approchaient pour vérifier si c'était ou non un cadavre. Les petits voyant les mouches accoururent vers lui, et le père les laissa faire ; il empêcha même la mère qui était plus méfiante de les retenir, car il voulait que ses petits puissent voir de près la bête qu'il avait tuée pour les défendre. Brusquement, l'animal rusé sauta, attrapa un autruchon et l'emporta dans la tanière de la viscache, laissant l'autruche constater les dégâts et trépigner de rage devant l'entrée du gîte. Il y a de ces canailles qui, si on leur laisse un moment, sont capables de voler la progéniture des autres, même s'ils sont à l'agonie, même s'ils sont morts, même s'ils sont déjà dans le cercueil.

Gomez, Karina . Cuentos argentinos (Spanish Edition)




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