La revue Tio Landru

 


Dans ce numéro 2 de la revue Tio Landru, du 19 juin 1968, on évoque avec humour la première transplantation cardiaque qui vient d'avoir lieu.


  • Bonjour docteur.

  • Bonjour Monsieur. Vous désirez ?

  • Je viens pour une transplantation.

  • Bien. Dans cette armoire vous avez différents articles. Choisissez, s'il vous plaît.

  • Ils sont ravissants. Notez que j'en ai vu des cœurs dans ma vie, mais comme ceux-là jamais.

  • Que pensez-vous de ce modèle évasé ?

  • Une merveille. Mais je crois que m'irait mieux ce style Courréges.

  • Je ne crois pas. Cela se faisait beaucoup l'an dernier, mais maintenant c'est démodé. Je vous recommande ce cœur de style Palazzo.

  • C'est que je ne sors pas beaucoup le soir. Vous n'auriez pas un modèle un peu plus sport ?

  • Bien sûr, mais c'est dans une autre armoire. Vous voyez, nous avons des cœurs raglan, des cœurs échancrés, de type « turtle neck », « military line » avec martingale.

  • J'aime bien avec martingale.

  • Vous pouvez y aller ; on va en vendre beaucoup cette année.

  • Est-il wash and wear ?

  • Naturellement. C'est de la qualité.

  • Bon, alors, transplantez-le moi.

  • Comment voulez-vous que je vous le transplante ? En biais, à la maître d'hôtel, à la napolitaine, al dente, à califourchon, à la mode de chez nous, en fermeture-éclair, à la sans façon...

  • Transplantez-le moi à la sans façon, si ce n'est pas trop cher.

  • Parfait. Couchez-vous sur ce lit sur le dos.

  • Que je me couche sur le dos ? Est-ce vraiment nécessaire ?

  • Bien sûr. On ne peut pas transplanter si vous êtes debout.

  • Si vous le dites. Voilà, je me couche.

  • Maintenant ouvrez votre chemise et laissez les bras le long du corps.

  • Ca me gêne. Me déshabiller ainsi...

  • Mais c'est comme ça pour tout le monde.

  • Bon, je vais le faire si vous ne regardez pas.

  • Je ne regarde pas.

  • Alors voilà, c'est fait, docteur.

  • Bien. Je vais procéder à la transplantation. C'est l'affaire d'une minute.

    C'est terminé. Vous n'avez rien senti ?

  • Absolument rien.

  • Comment vous sentez-vous ?

  • Merveilleusement bien. Je me sens un autre homme. Je ressens de très beaux battements de cœur. Combien vous dois-je ?

  • Dix mille pesos.

  • Comment dix mille ? Le mois dernier, mon beau-frère s'est fait transplanter pour huit mille pesos.

  • C'est l'inflation, que voulez-vous que j'y fasse. Face à la demande, les cœurs sont de plus en plus chers.

  • Bon, voilà dix mille.

  • Maintenant c'est douze mille.

  • Mais comment ça ! C'était dix mille.

  • L'inflation, vous dis-je.

  • Bien, docteur. Voilà quinze mille et gardez la monnaie. Au revoir.

  • Au revoir et à la prochaine...

Oui, chers amis, sans vouloir me vanter, cet homme vit avec un coeur artificiel depuis vingt ans!



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