Conte argentin
Les béliers et le mouton
Deux béliers combattaient avec fureur. Enormes et puissants tous les deux, ils ne se ménageaient pas, et leurs crânes résonnaient comme s'ils allaient tomber en miettes. Ils semblaient insensibles à la douleur et peu leur importait d'être assommé ou d'avoir la tête en sang ; ils continuaient à se jeter l'un sur l'autre.
Chacun n'avait qu'un but : s'emparer du cœur d'une brebis qui les rendait fous. Et ils savaient bien qu'elle ne rendrait les armes que devant le plus valeureux, ou au moins le plus fort. Tous les moutons du troupeau s'étaient réunis et formaient un cercle, commentant le combat en connaisseurs, et surtout les autres béliers qui savaient ce que c'était que lutter. Et ils savaient aussi pourquoi : c'est la nature elle-même qui commande que de cette façon les beaux mâles se battent pour que de ce combat sortent des fils forts et brillants, et chacun faisait des vœux pour que celui-ci ou celui-là sorte vainqueur, selon qu'il appréciait telle technique ou telle tactique des deux prétendants.
C'est alors qu'un jeune mouton castré entreprit de donner son opinion sur le combat, critiquant la façon d'attaquer de l'un et le mode de défense de l'autre. Il trouvait de plus les cornes de l'un trop ouvertes et celles de l'autre trop fermées. Il expliquait savamment que les enfants de ces béliers seraient trop courts sur pattes et que ce combat ne méritait pas autant d'attention. Cela faisait un bon moment qu'il fatiguait tout le monde de ses commentaires prétentieux quand l'un des béliers qui assistait à la lutte se décida à lui clouer le bec :
Écoute, mon ami, lorsque tes bois auront poussé et que tu auras la capacité de t'offrir des chocs tête contre tête et lorsque, plus que tout, tu nous annonceras que tu as des enfants, nous te demanderons ton avis ; mais, en attendant, tais-toi, tu es la risée de tout le monde ici.
Ah, la critique est la consolation et le revanche des impuissants !
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