Rafael Nofal
Rafael Nofal est un dramaturge de Tucuman, où il enseigne également. Il est allé en prison pour avoir tiré sur un voleur qui s'était introduit dans sa maison...
Il a écrit en 2014 la pièce « Le temps de mandarines » qui présente quinze histoires basées sur des faits réels qui se sont produits en Argentine. La mandarine est une allusion à la façon de manipuler le fruit comme la femme...
CETTE FEMME – (accroupie) Si je reste comme ça, toute petite, dans la position que m'a apprise le maître, ils ne me verront pas. Ils passent en volant au-dessus de ma tête et ils ne me voient pas. Les gens qui marchent à pieds, eux oui, mais les autres, ceux qui se transforment en oiseaux pour fouiner, ils ne me voient pas. C'est au nord que je m'en suis rendu compte : on dirait des nuages, mais ce n'en sont pas. Ce sont des oiseaux gigantesques avec des griffes comme celles du loup ou d'un autre animal terrifiant, qui planent lentement et qui cherchent et qui cherchent. J'ai soif, je vais attendre que passe le dernier et je traverserai pour demander de l'eau dans ce bar.
Vous avez un ange qui vous accompagne, ma fille, m'a dit cette femme à Santiago.
Je sais, je sais bien, c'est pour ça qu'ils ne m'ont pas encore attrapée. Comment s'appelle mon ange ? Certainement qu'il a un nom. Juan Pablo saura trouver le nom de ton ange... Accompagne-moi, mon petit ange, ne me laisse pas seule. Ils ne me font pas peur ; je veux seulement qu'ils me laissent me reposer. Comme ça, les bras sur les genoux, les paumes vers le bas pour qu'ils ne puissent pas me détecter. Tranquille... tranquille, respirer lentement et profondément, ne pas lever la tête, je peux les voir sans qu'ils me voient. Je peux aussi les sentir, ils ont une odeur bizarre, comme le camphre que ma grand-mère mettait dans les draps rangés dans le coffre, l'odeur des choses vieilles et cachées. C'est qu'ils sont vieux, ils étaient déjà dans la bible, dans l'Apocalypse : «... voilà qu'apparaîtra aussi un autre signe du ciel : un grand dragon à sept têtes et dix cornes » … et après il est dit... « alors le dragon s'emportera contre la femme »... c'est la colère qui fait qu'ils me cherchent... mais pourquoi ?
Pourquoi moi ? Pourquoi la Bête m'en veut-elle à ce point-là juste au moment où tout commençait à bien aller ? Mais elle ne va pas me trouver, cette bête immonde, elle ne va pas me trouver. Ca fait combien de temps que je marche ? Trois mois ou trois jours ou trois ans, je ne sais plus. Mais c'est la clef de ma réussite, ne jamais rester à la même place, ne plus dormir, comme ce jour où je me suis endormie dans un camion et le type m'a réveillé et m'a dit :
Ils ont montré une photo de toi à la télé, on te recherche. Viens, on va manger quelque chose.
Je suis descendue et quand il est allé aux toilettes, je suis partie en courant. Quelle idiote je fais ! C'était un envoyé de la Bête et je ne l'ai pas vu... Il faut dire que j'étais très fatiguée, j'ai dormi comme une souche dans ce camion... Maintenant, ils sont tous passés, je peux traverser...
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