Leopoldo Lugones
Un papillon ?
Quand Lila dût partir pour entrer en collège en France, elle parla avec Alberto qui était son cousin ; ils eurent une longue conversation puisqu'ils parlèrent trois heures sans s'arrêter ; et de choses importantes puisqu'ils s'entretenaient à voix basse ; et de choses tristes, parce que lorsqu'ils se sont séparés, il avait les yeux gonflés et elle le nez rouge et le mouchoir très humide ; en tout cas bien plus humide que d'habitude.
Pour se consoler, après tant de nuit à pleurer seul dans son lit, Alberto commença une collection de papillons. Il apprit à utiliser adroitement un filet, à classer les jolis insectes, à les exposer artistiquement dans de lumineuses vitrines. Mais à chaque fois qu'il attrapait un papillon il se disait : « Ah si Lila était avec moi... »
Peu à peu les papillons l'occupèrent à temps plein, et il n'eut d'autres buts que sa collection, chaque jour plus brillante et complète.
Un soir il se promenait en silence avec son filet sous les tilleuls du jardin. Brusquement, au pied d'un jonc, Alberto aperçut un papillon d'une espèce inconnue. Il était blanc, mais avait sur les ailes deux taches bleues comme des violettes. Il n'en avait jamais vu de semblable, même dans ses livres. Il essaya de le capturer de toutes les façons, mais ce papillon était particulièrement astucieux et il évitait le filet avec une certaine aisance. « Si Lila était là, elle m'aiderait » se disait Alberto. Il lui fallut trois jours pour enfin en venir à bout. Il fit comme avec les autres insectes de sa collection, lui planta une aiguille dans le corps en faisant bien attention de ne pas abîmer les ailes. Mais le lendemain, il s'aperçut que le papillon vivait encore et qu'il perdait progressivement ses couleurs. La grand-mère d'Alberto lui dit de ne pas faire souffrir inutilement cette bête qui devenait jour après jour plus quelconque. Alberto le relâcha et le vent l'emporta, mort ou vif...
Lila, de son côté, était très docile dans son collège, mais elle était malade de mélancolie. Elle devenait de plus en plus pâle et le soir, après les cours, elle pleurait. Personne ne s'en apercevait parce qu'elle ne se plaignait jamais. Et la vie continuait dans la même tristesse jusqu'à ce qu'un matin on la retrouve morte dans sa chemise blanche. Le médecin ne put découvrir la cause de son décès, même si en l'examinant il trouva deux minuscules points rouges, l'un dans le dos et l'autre sur la poitrine.
Sur le balcon, Alberto apprit la nouvelle. Le vent passait en disant quelque chose qui n'était pas pour lui. Les étoiles, impassibles, regardaient en bas. Alberto continua à vivre. Simplement, il disait à sa grand-mère, j'ai perdu un papillon.
- Un papillon ? répéta la grand-mère.
Commentaires
Enregistrer un commentaire