Le gaucho et la littérature

 


Mon fils Florent m'a ramené de Mexico un livre essentiel sur la littérature argentine actuelle : La ultima Gauchada. Il s'agit de huit nouvelles de jeunes auteurs, regroupées et présentées par Gonzalo Leon, un écrivain chilien basé à Buenos Aires depuis dix ans.

Quand on veut comprendre ce que la littérature « gauchesca » continue d'apporter aux écrivains d'aujourd'hui, on a besoin de ce livre.

Depuis Martin Fierro, (qui est un peu l'équivalent de nos chansons de geste ou même de l'Odyssée d'Homère) les écrivains, à commencer par Borges, n'ont pas cessé de revendiquer ou de se démarquer de la langue et la poésie des gauchos.

Voici comment Gonzalo Leon présente cet ouvrage de référence :


La ville ou plutôt Buenos Aires continue d'être un thème important pour les narrateurs argentins. Dans la première partie de l'oeuvre de Borges (Fervor en Buenos Aires et Evaristo Carriego, par exemple) elle est présente et pourrait être en contradiction avec la littérature de gaucho. Josefina Ludmer dans El género gauchesco analyse Evaristo Carriego pour signaler que « le Palermo de Carriego est pour Borges une zone où se mélange, provisoire et double, la plaine et la rue. Et à ce mélange s'ajoute le mélange des hommes : dans Palermo vit el orillaje malevo (le mauvais coin) et aussi ce que Borges appelle la zone décente et malheureuse ». Pour cette critique, tant dans l'oeuvre de Carriego que dans celle de Borges la tradition « gauchesca » est présente et elle met en évidence que « tout peut changer tour à tour : qu'on donne un sens ou qu'on en donne pas, qu'on politise ou dépolitise, qu'on la détourne ou pas ; la tradition est historique et fonctionne comme un matériel littéraire flexible, malléable ». Oliverio Coelho dans Ida montre une cité à travers l'abandon dont souffre son protagoniste, Eneas Morosi, que sa mère laisse seul, mais lui aussitôt trouve une consolation dans la ville, comme si Buenos Aires était une amante toujours disponible. Beatrix Sarlo compare d'ailleurs ce roman avec El aire, de Sergio Chejfec : « Les aventures urbaines d'Eneas Morosi sont celles de son temps ; celles de Barroso (le héros de Chejfec) se passent dans une cité future, qui a subi toutes les conséquences d'une crise. Les deux romans relatent une relation entre mésaventure sentimentale, désolation et paysage urbain ». C'est ce qui retient aussi Matias Capelli dans Trampa de luz. Ici, le protagoniste n'est pas abandonné par une femme, mais il se sent exilé par sa famille de haute lignée dans un quartier de classe moyenne et la distance qui le sépare de son ancien domicile est décrite dans un interminable trajet en bus.

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Dans la littérature argentine, chaque mouvement esthétique suppose nécessairement deux étapes : ignorer l'écrivain-référence et revenir à la « gauchesca ».

Borges écrit comme si Lugones n'avait jamais existé, mais il revient à la « gauchesca ».

Copi écrit comme si Borges n'avait jamais existé, mais il revient à la «gauchesca ».

Daniel Link


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