L'Océan ne sait mentir
L'Océan ne sait mentir
par Lucien Padoux (l'auteur de « L'assassin aux pieds gelés »)
La montre, compagnon de chaîne des angoisses humaines, battait la mesure contre les flancs du beau navire qui fendait le fil des destins. Un jour ou l'autre, ce mobile château de cartes allait s'écrouler et l'on se tenait sur ses gardes avec un tremblement imperceptible des muscles du visage, ne sachant pas à quel moment précis la déesse de la Volupté devait ériger son monument aux morts. On avait pris des dispositions monstrueuses au cas de sauvetage imprévu. Sous le poids de ses amulettes, Sir Omnibus tintait en entier comme une cloche fêlée appelant au secours les tatouages que les sisters du bord auraient mieux fait de pratiquer. Le prestige des gens de mer se serait assuré une inflation tous risques. Au lieu de ceci, leur organisme ultra-sensible leur jouait des mauvais tours. Sur toute la ligne du cœur... C'est ce que soutenait avec un désintéressement bien chrétien, à cinq cents francs la lecture, le chiromancien Whisky Haig préposé au lavage intestinal des ponts, en combinaison rose.
Communiqué de la dernière heure ! Fallait voir l'apothéose :
Quarante mille marins aux torses d'orangs-outangs, donnant un baiser de lépreux de la Mère-Patrie. Le Chef manqua avoir une syncope et son aile droite arrachée. Les requins assistaient, en invités d'honneur, à la mascarade. La Peur s'était installée dans tous les cœurs, au sein de l'Océan, avec toutes les commodités d'une mendiante abhorrée. Ah ! quand allait finir le tourment qui maintenait l'univers dans un état de folie collective ?
Pareil au grondement des turbines, les paroles bourdonnaient un instant au-dessus du bâtiment en détresse, puis s'évanouissaient aux mille vents, incapables qu'elles étaient de faire corps avec la masse gluante bourrée d'insanités. La machine à niveler les consciences enregistrait des chiffres record. La Victoire souriait ainsi partout, mais ne se voyait nulle part. Le héros redevenait porc. Le soldat troquait son tank contre un soc d'esclave. Et les sisters enceintes de l'armée reprenaient leur avachissement d'antan...
Commentaires
Enregistrer un commentaire