Deux poèmes sur la guerre
Entre mille
Au quatre cent dix-sept, Gaétan Léotard,
Capitaine, blessé vers la fin novembre,
A l'ambulance meurt à l'aube de décembre ;
Pour linceul il aura les plis de l'étendard.
Parti porte-drapeau dès l'heure de la guerre,
Débute lieutenant, s'implante sur le front,
Gagne par son courage un troisième galon,
En septembre est blessé sur le bord d'un cratère.
Guéri, retourne au front ; outre la Légion,
Sa bravoure lui vaut encore la croix de guerre
Avec étoile et palme ; à son heure dernière,
Aux pages de l'honneur, une autre citation.
Sur son cœur brille la médaille militaire,
Qu'encadrent de leurs raies cinq décorations ;
Chacune éloquemment vante les actions
De ce héros à la vaillance héréditaire.
« Il commandait, écrit son chef de bataillon,
Avec une vigueur de fer, et péremptoire ;
Il avait, pour mener les siens à la victoire,
La prudence du Sage et l'âme du lion. »
Lorsque le médecin l'opère, sa souffrance
Est vive ; mais serrant la main du commandant,
Pendant que, de son front, son sang coule abondant,
D'une voix forte, il dit : « Mon Dieu, c'est pour la France! »
Marius Schemeil (1863-1956)
La cuirasse
Quand la guerre pleuvra sur la houle et sur les plages
J'irai à sa rencontre armée de mon visage
Coiffée d'un lourd sanglot
Je m'étendrai à plat ventre
Sur l'aile d'un bombardier
Et j'attendrai
Quand le ciment brûlera sur les trottoirs
Je suivrai l'itinéraire des bombes parmi les grimaces de la foule
Je me collerai aux décombres
Comme une touffe de poils sur un nu
Mon œil escortera les contours allongés de la désolation
Des morts brasillants de soleil et de sang
Se tairont à mes côtés
Des infirmières gantées de peau
Pataugeront dans le doux liquide de la vie humaine
Et les moribonds flamberont
Comme des châteaux de paille
Les colonnades s'enliseront
Les astres bêleront
Même les pantalons de flanelle s'engloutiront
Dans l'espace géant de la peur
Et je ricanerai dents découvertes violette d'extase dithyrambique
Hystérique généreuse
Quand la guerre pleuvra sur la houle et sur les plages
J'irai à sa rencontre armée de mon visage
Coiffée d'un lourd sanglot
Joyce Mansour (1928-1986)
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