LES MÉMOIRES DE SINOUHÎT

 


Les Mémoires de Sinouhît paraissent avoir joui d’une grande réputation dans les cercles littéraires de l’Égypte Pharaonique, car ils ont été recopiés assez souvent en tout ou en partie, et nous possédons encore les restes de trois manuscrits qui les contenaient au complet. En voici le début :


Le prince héréditaire, l’homme du roi, l’Ami unique, le chacal, administrateur des domaines du Souverain et son lieutenant chez les Bédouins, le connu du roi en vérité et qui l’aime, le serviteur Sinouhît, dit : 

Moi, je suis le suivant qui suit son maître, le serviteur du harem royal de la princesse héréditaire, la favorite suprême, l’épouse royale de Sanouosrît dans Khnoumisouîtou, la fille royale d’Amenemhaît dans Qanofir, Nofrît, la dame de féauté. L’an XXX, le troisième mois d’Iakhouît, le 7, le dieu entra en son double horizon, le roi Sahotpiabourîya s’élança au ciel, s’unissant au disque solaire, et les membres du dieu s’absorbèrent en celui qui les avait créés. Or le palais était en silence, les cœurs endeuillés ; la double Grande Porte était scellée, les courtisans restaient accroupis la tête aux genoux et le peuple se lamentait lui aussi. Or, sa majesté avait dépêché une armée nombreuse au pays des Timihou, et son fils aîné, le dieu bon, Sanouosrît, en était le chef. Il avait été envoyé pour frapper les pays étrangers et pour réduire les Tihonou en esclavage, et maintenant il revenait, il amenait des prisonniers vivants faits chez les Timihou et toute sorte de bestiaux sans nombre. Les Amis du Sérail, mandèrent des gens du côté de l’Occident, pour informer le fils du roi des affaires qui leur étaient survenues au Palais. Les messagers le trouvèrent en route, et ils l’atteignirent à la nuit : jamais il ne tarda moins. Le faucon s’envola avec ses serviteurs, sans rien faire savoir à l’armée ; on manda aux fils royaux qui étaient avec cette armée de ne l’annoncer à personne de ceux qui étaient là. Or moi, j’étais là, j’entendis sa voix tandis qu’il parlait, alors que je m’éloignais, mon cœur se fendit, les bras me tombèrent, la peur s’abattit sur tous mes membres, je me dérobai en tours et en détours pour chercher une place où me cacher ; me glissant entre deux buissons, afin de m’écarter de la route battue, je cheminai vers le sud, mais je ne songeai pas à revenir au Palais, car j’imaginais que la guerre y avait déjà éclaté. Sans dire un souhait de vie pour ce palais, je traversai le canal Maouîti au lieu dit du Sycomore. J’atteignis l’Île Sanafrouî et j’y passai la journée dans un champ, puis je repartis à l’aube et je voyageai : un homme qui se tenait à l’orée du chemin me demanda merci, car il avait peur. Vers le temps du souper, j’approchai de la ville de Nagaou, je traversai l’eau sur un chaland sans gouvernail, grâce au vent d’Ouest, et je passai à l’Orient, par le canton des Carrières dans le lieu dit déesse Harouît-nabît-douou-doshir, puis faisant route à pied vers le Nord, je gagnai la Muraille du prince, qui a été construite pour repousser les Saatiou et pour écraser les Nomiou-shâîou ; je me tins courbé dans un buisson, de peur d’être vu par le gardien qui guette sur la courtine du mur en son jour. Je me mis en route à la nuit, et le lendemain à l’aube, j’atteignis Pouteni et je me reposai à l’Île Qamouêri. Alors la soif elle tomba et elle m’assaillit ; je défaillis, mon gosier râla, et je me disais déjà : « C’est le goût de la mort ! » quand je relevai mon cœur et je rassemblai mes membres ; j’entendais la voix forte d’un troupeau. Les Bédouins m’aperçurent, et un de leurs cheikhs qui avait séjourné en Égypte me reconnut ; voici qu’il me donna de l’eau et me fit cuire du lait, puis j’allai avec lui dans sa tribu et ils me rendirent le service de me passer de contrée en contrée.


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