Théâtre russe
Les éditions "L'Espace d'un instant" viennent de publier deux textes de dramaturges russes, Eléna Gremina et Mikhaïl Ougarov. On pourrait appeler cela du théâtre documentaire. Le premier texte, « Une heure et dix-huit minutes » rapporte avec exactitude la scandaleuse mort de Sergueï Magnitski dans les geôles de Putin. Les auteurs font parler les juges, médecins, soldats tous tortionnaires et complices. Il s'agit le plus souvent de déclarations officielles qui en disent long sur l'univers carcéral de la Russie d'aujourd'hui. On peut y rester un an sans accusation signifiée et on peut y mourir en une heure et dix-huit minutes sans que personne ne s'y intéresse. C'est glaçant et terrifiant à la fois. On entend aussi la voix de Magnitski à travers ses plaintes enregistrées :
« Dans toutes les cellules, les toilettes sont un simple trou, avec une cuvette à même le sol. Ces cuvettes en ciment sont tellement sales qu'on a peur rien qu'en les voyant. On ne fournit pas de brosse pour les nettoyer. On n'en trouve pas non plus à la cantine de la prison. (…) Il n'y a aucune séparation entre les toilettes et la cellule. Nous sommes obligés de suspendre les draps qu'on nous a fournis. Après quoi, nous ne pouvons plus les utiliser.
Avant le début de l'audition, comme je n'avais pas manger, j'ai demandé qu'on me fournisse un peu d'eau bouillante pour que je puisse au moins me préparer un thé. On a refusé de me fournir de l'eau bouillante. En définitive, je n'ai eu aucun accès à de l'eau potable. »
Evidemment, il s'agit plus d'un témoignage que d'une pièce de théâtre. Mais combien est-il important, car certes les nouvelles qui nous viennent de Moscou ne sont pas bonnes, mais en général elles n'ont pas cette précision et cette intensité. Ici, nous avons de quoi comprendre le système Putin avec toutes ses abominations.
Et justement, dans le second texte, « Septembre.doc », autre abomination : le massacre perpétué par les forces russes en septembre 2004 lors de la prise d'otages de l'école de Beslan par un groupe de Tchétchènes. Selon le bilan officiel, il y a eu 334 civils tués, dont 186 enfants. Nous touchons là à l'horreur la plus absolue. Les textes sont alors des déclarations des uns et des autres. Les fanatiques musulmans qui cherchent le martyr et la population russe affolée par le drame. Ils se répondent au travers d'invectives permanentes qui montrent combien les divisions sont profondes et accentuées par le régime actuel.
« Hier, j'ai vu un tract avec les tarifs.
Tuer un général, quinze mille dollars (trois vaches, vingt moutons)
Tuer un officier supérieur, sept mille dollars (une vache, dix moutons)
Un officier, trois mille dollars (cinq moutons)
Un sous-officier ou un mercenaire, mille cinq cents dollars (deux moutons)
S'il s'agit d'un attentat de masse, dix mille dollars. D'abord, on commence par te donner une avance, et dès que les médias publient le nombre des victimes, on te paie le reste.
Pour les prises d'otages, si tu survis, à toi on te paie dix mille dollars et si tu meurs, à ta famille, c'est trente mille dollars qu'on paie. »
Ce à quoi un Russe répond dans un message :
« Je ne demande pas la destruction des Tchétchènes. Moi, je ne veux tout simplement plus vivre dans le même pays qu'eux. Moi, je donnerais l'indépendance à la Tchétchénie, avec une frontière bien gardée. Mais le premier qui s'approche de la frontière, on l'abat sur place. »
Alors évidemment pour un Français, qui a souffert des attentats si récemment, cela peut être choquant d'entendre la voix souvent joyeuse des islamistes qui partent en croisade, persuadés d'entrer au paradis. Mais il est important d'entendre toutes les voix pour comprendre à quel degrés d'incompréhension, à quelle négation de l'autre on arrive.
On ne peut donc que remercier les Editions « L'Espace d'un instant » de nous livrer ces documents rares et de nous montrer qu'il reste le théâtre encore pour faire exister la résistance d'aujourd'hui.
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