Bakchich

  


Les francophones d'Egypte ont spontanément adopté le verbe bakchicher, qu'ils conjuguent à tous les temps. N'est-ce pas une activité quotidienne incessante et nécessaire? Le billet se glisse naturellement dans la main du serveur, du portier, du facteur, parfois même du policier en faction. Il existe au moins un musée au Caire où le gardien éteint les vitrines lorsqu'il vous voit approcher, pour les rallumer une à une, en votre honneur, et encaisser sa récompense...

« Le bakchich commence en Egypte et nous suivra jusqu'en Inde », écrit Jean Cocteau dans Le tour du monde en quatre-vingt jours. En effet, la vallée du Nil n'en a pas le monopole. Le mot, d'origine persane (bahsis) puis adopté par les Turcs (baksis), est devenu universel. A l'origine, il désignait un acte pieux (le don accordé aux mystiques qui se consacraient à la prière) ou un geste de bienvenue (le petit présent offert à l'invité pour mieux l'accueillir chez soi). Son sens a dérivé : il veut dire désormais, selon les circonstances, pourboire, aumône ou pot-de-vin.

En Egypte, le service n'est jamais compris, même quand il est facturé. Dans un hôtel, les employés se mettront volontiers à deux ou trois pour porter vos valises ou vous fournir un service. Deux ou trois bakchichs... Il faut toujours avoir de la monnaie sur soi.

En 1869, après avoir parcouru l'Egypte, Eugène Fromentin, assez méprisant, décrivait ainsi les habitants : « Forcément et naturellement mendiants, le mot bakchich résume tout leur vocabulaire usuel, et le geste de tendre la main presque toute leur pantomime. Demander, insister, vous poursuivre en répétant bakchich, bakchich, kétir, attendre qu'on l'on donne, demander de nouveau quand on a donné, rien ne leur coûte. »

Mais Lady Duff-Gordon, qui vivait, elle, au milieu des paysans pauvres de Haute-Egypte, répondait : « On crie après le bakchich ; mais on devrait se rappeler tout ce qu'on obtient ici pour rien, et sans que personne -fait assez curieux- songe à vous demander du bakchich. »

Robert Solé

Peu de compositeurs ont mis en musique le mot "bakchich", plutôt réservé au monde politique - et rarement chanté, du moins à voix haute. Mais il en est un qui, en 1920, le fit, pour la plus grande joie des amateurs de musique légère

Albert Ketèlbey (1875 – 1959), est l'auteur de l'immortelle scène orchestrale Sur un marché persan . Scène dans laquelle le chœur chante, en effet, sur le mot "bakchich", qui n'est pas ici considéré comme un quelconque dessous-de-table mais seulement une aumone - بخشش en persan, comme vous le savez sans doute mais cela ne coûte rien de le rappeler, signifie un don, la charité -. L'ouvrage fut longtemps un immense tube, y compris en France, à une époque où il était permis d'écouter de la musique légère symphonique, voire de l'aimer, sans s'attirer le glacial mépris de l'avant-garde - ou l'ostracisme des radios publiques.

Sur un marché persan...




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