Les quarante mensonges
Il était une fois un Khan très cruel. Une nuit, il resta longtemps avec ses courtisans à boire, et, l'alcool lui montant à la tête, il devint plus cruel encore et fit annoncer ceci par ses crieurs publics :
« Si quelqu'un réussit à me raconter une suite ininterrompue de quarante mensonges, je le couvrirai d'un tas d'or aussi haut que lui. En vérité, je le rendrai si riche qu'il ne connaîtra plus un désir sans pouvoir le satisfaire. De plus, s'il le souhaite, il pourra épouser ma fille et devenir mon premier ministre. Cependant, si le moindre mot vrai se glisse dans son récit, je le ferai pendre sans cérémonie, fut-il lui-même le plus noble des ministres. » |
Beaucoup essayèrent, quitte à perdre la vie, mais personne ne réussit jusqu'au jour où un enfant abandonné parut devant le Khan. Il était vêtu de haillons et si maigre qu'on pouvait croire qu'il n'avait jamais mangé à sa faim dans sa vie. Ses lèvres étaient bleues de froid, les plantes de ses pieds lacérées et ses mains écorchées.
Qu'est-ce qui te fait penser que tu peux réussir là où ont échoués tant d'hommes plus âgés que toi ? dit le Khan et il l'invita à dire son histoire.
Seigneur, ce que je souhaite vous raconter arriva il y a bien longtemps, alors que le ciel était à peine plus grand qu'un tapis, la terre à peine plus grande qu'une selle, et que moi-même je n'étais pas né. Je vivais dans les entrailles de ma mère et je gagnais ma vie en faisant paître les chevaux de mon petit-fils. Au bout de quinze ans de ce régime, j'avais mis assez d'argent de côté pour pouvoir songer au mariage, aussi je m'arrangeai pour naître rapidement, trouvai une femme et l'épousai. Le plus jeune de mes cinq enfants a eu vingt ans seulement hier, de telle sorte qu'il a dix ans de plus que moi.
Par une chaude journée d'été je guidai les juments de mon petit-fils au puits qui recouvrait la steppe. Seigneur, vous vous rendrez compte de la chaleur qu'il faisait si je vous dis que le puits était gelé et qu'à sa surface il y avait une couche de glace aussi épaisse que la taille d'un homme. Dépassé par les événements, je dus réfléchir profondément avant de découvrir la solution : agrippant mon cou, je dévissai ma tête et tapai légèrement sur la glace avec ma tempe. Seigneur, je ne mens pas si je vous dis que la glace craqua aussitôt. Et l'eau qui jaillit du puits suffit à asperger complètement mes chevaux, que j'avais impeccablement alignés sur un rang.
Tandis que j'étanchais ma soif, soixante canards sauvages et soixante-dix canards de basse-cour avaient été collés à ma moustache par le gel. Je m'en allai échanger toute cette volaille contre une grue, aussi grande qu'un chameau, qui pouvait boire dans un puits profond sans même plier le cou.
Et l'enfant continua ainsi toute la journée à raconte son histoire. N'y tenant plus, le Khan ordonna que l'on remît l'or promis au jeune homme, et lui donna la main de sa fille. Aussitôt après les noces, le Khan dut se mettre au lit et comme il était incapable de digérer sa furie, il mourut au bout de trois jours.
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