Tewfik El Hakim
LE BISTROT – Tu n'es pas émerveillé par cet événement ? Ce n'est pas tous les jours qu'il arrive qu'on vende un Sultan !
LE SAVETIER – Ecoute, mon vieux ! Je te le dis en toute franchise. Même si j'avais assez d'argent pour l'acheter, je ne l'achèterais pas.
LE BISTROT – Comment ? Tu ne l'achèterais pas ?
LE SAVETIER – Non. Que veux-tu que je fasse d'un Sultan dans ma boutique ? Je ne pourrais pas lui apprendre mon métier. Je n'oserais jamais lui demander de travailler. Par contre, je serais obligé de le nourrir, de l'entretenir et de le servir moi-même. En somme, il serait un fardeau sur mes épaules. Un article de luxe qui ne me convient pas et qui me coûterait cher. Voilà ce que ça serait.
LE BISTROT – Ce que tu es bête !
LE SAVETIER – Et toi ? Tu l'achèterais ?
LE BISTROT – Naturellement.
LE SAVETIER – Qu'en ferais-tu ?
LE BISTROT – Oh, tant de choses ! Rien que sa présence chez moi attirerait toute la ville. Je lui demanderais de raconter aux clients ses aventures, ses campagnes contre les Mongols, ses victoires et ses souvenirs...
LE SAVETIER – Oui, tu pourrais l'utiliser ainsi, toi, mais moi...
LE BISTROT – Toi aussi tu pourrais en faire autant.
LE SAVETIER – Comment ? Que pourrait-il raconter à propos de babouches, lui ?
LE BISTROT – Chez toi, c'est différent. A ta place, voilà ce que j'en ferais. Je l'assiérais confortablement devant la porte de la boutique, une paire de babouches aux pieds, et au-dessus de sa tête je placerais un écriteau avec cette phrase : « Ici sont en vente les babouches du Sultan ». Tu verrais, le lendemain, toute la ville chez toi, se disputer ta marchandise.
LE SAVETIER – Bonne idée !
LE BISTROT – N'est-ce pas ?
LE SAVETIER – Tu en as dans la tête, toi.
LE BISTROT – Allons l'acheter ensemble, tous les deux. Je te le cède le jour et tu me le laisses la nuit.
LE SAVETIER – Ce que nous possédons tous les deux comme argent ne suffit pas pour acheter un seul de ses doigts.
LE BISTROT – C'est vrai.
J'ai choisi... (Acte II)
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